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Après les inondations : «Aucune idée du temps que ça prendra»


Bernard Thibeau : «L’eau est montée jusque-là. On n’a jamais vu ça en près de trente ans.»(photo Alain Rischard)

Rue de la Gare à Echternach, bon nombre de commerçants sont condamnés à la fermeture pour une durée indéterminée. D’autres ont jeté l’éponge, écœurés.

Un mois après les inondations historiques qui l’ont frappé, le cœur d’Echternach bat de nouveau. En cette veille de week-end du 15 août, sous le soleil, des centaines de touristes arpentent le centre-ville historique de l’ancienne cité abbatiale, appareil photo autour du cou, cornet de glace en main.

Sur les pavés de la place du Marché, les parasols sont déployés et les terrasses font le plein. Dans ce coin-là, les stigmates de la montée des eaux du 14 juillet sont assez discrets : à peine distingue-t-on une ligne à 60 cm au bas des façades témoignant qu’ici on a eu de l’eau jusqu’aux genoux.

Mais en longeant la rue de la Montagne, on peut s’apercevoir que la vie «d’avant» n’a pas repris pour tout le monde : de nombreux locaux sont toujours inoccupés. On peut lire des messages scotchés aux vitrines : certains promettent une reprise, comme l’enseigne de tapisserie Gelz qui annonce son retour au 1er septembre, «le temps d’en finir avec l’odeur de mazout», quand d’autres sont plus tristes. Ainsi les quelques mots griffonnés au stylo bille par la couturière Marcia Pereira remercient ses fidèles clients et annoncent qu’elle ne reviendra pas.

Sa boutique de retouches, Art en fil, installée depuis huit ans à Echternach, ferme définitivement, victime de la crise sanitaire et des inondations. «J’aurais préféré une autre fin», confie la jeune femme. «La dernière image que je garderai sera celle de mon magasin dévasté : tous les meubles abîmés, le sol en bois gonflé, mes deux machines à coudre perdues, comme mon matériel de couture.» L’épreuve de trop. Marcia a rendu les clés de son local et décroché un poste dans la grande distribution.

Du côté du val des Roses, on n’entend que le ronronnement des déshumidificateurs qui tournent jour et nuit et l’écho de perceuse et de coups de marteau : les travaux de rénovation vont bon train. Dans une cour, un canapé neuf, encore sous plastique, attend qu’on le déballe. Cependant, la tâche est énorme, comme le rappelle cette odeur de moisi qu’on peut sentir partout où les murs infiltrés d’eau et de mazout pourrissent lentement.

Au fond, on aperçoit la rue de la Gare qui grouille de monde. Sous les stores colorés de l’enfilade de commerces, les visages sont souriants et détendus : c’est les vacances. À la Gelateria Venezia et à la terrasse du fameux café Philosoff, les promeneurs sont nombreux à poser leur sac à dos et à s’offrir une pause. Le décor de carte postale ferait presque oublier le désastre pourtant récent.

Pour en prendre la mesure, il suffit de faire quelques pas de plus. Là, à mesure qu’on s’approche de la Sûre, c’est une atmosphère fantomatique qui domine. Les touristes tournent les talons : les vitrines sont bâchées, les snacks et restaurants bouclés, des chaînes et des cadenas scellent les entrées des boutiques désertées. Et cette odeur nauséabonde de nouveau.

«Beaucoup de choses auraient pu être sauvées !»

À genoux dans une entrée, un vieux monsieur s’échine sur la porte déformée par les eaux : «Elle coince, lance-t-il, j’essaye d’arranger ça.» Lui, c’est Bernard Thibeau, 90 ans, figure bien connue, puisque sa famille est propriétaire de la boutique Cado-Line depuis près de 30 ans. Abattu, il ne cache pas son désarroi en nous invitant à entrer dans le magasin dévasté : «L’eau est montée jusque-là», indique-t-il en montrant des traces sur le mur à plus de 1,60 mètre du sol.

Les Thibeau ont connu plusieurs grandes inondations ces dernières décennies, mais jamais de cette ampleur, confie le fringant nonagénaire qui avoue même que, du temps où il tenait le magasin, il n’a jamais souscrit d’assurance pour ce risque, alors que c’est la première chose qu’il conseille aujourd’hui à ses locataires.

Impossible de rouvrir pour l’instant : cet espace dédié aux bijoux et aux articles de décoration auparavant est bon à refaire entièrement. Et pas seulement à cause des inondations, ce qui irrite profondément Bernard : «Quand l’eau s’est retirée, des centaines de personnes ont débarqué ici pour tout enlever. Mais beaucoup de choses auraient pu être sauvées !», estime-t-il. «On a assisté à ça, impuissants : ils jetaient tout dans la rue et des passants venaient se servir», raconte-t-il, encore amer.

Même mésaventure pour la boutique voisine, 1 000 Cadeaux, spécialisée dans la maroquinerie, et dont le gérant, écœuré, a décidé de jeter l’éponge. Bernard, lui, n’abandonne pas. Avec sa fille Romy, qui a repris l’affaire, ils sont déterminés à poursuivre. Mais quand pourront-ils à nouveau accueillir des clients ? La question reste sans réponse. «Un magasin comme le nôtre nécessite un aménagement et un design particulier, des meubles spéciaux pour présenter les bijoux. Il faut tout recommencer à zéro. Aucune idée du temps que ça prendra.»

Christelle Brucker

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