Juste avant les fêtes, Guy Krier (domaine Krier-Welbes, à Ellange-Gare) a vendangé les raisins qui lui permettront de produire le premier vin de glace bio du Luxembourg.
La nuit du 21 au 22 décembre, c’était un peu Noël avant l’heure pour quelques vignerons chanceux! Parce que dans le contexte d’un dérèglement climatique qui joue avec la météo comme une boule dans un jeu de quilles, espérer produire du vin de glace au Luxembourg aujourd’hui représente une sacrée marque d’optimisme! Et pourtant, cette nuit-là, le mercure est tombé juste sous la marque fatidique des -7 °C, la limite imposée par la loi. «C’était tout juste, mais c’était bon!», sourit le vigneron bio Guy Krier (domaine Krier-Welbes, à Ellange-Gare).
Mais qu’est-ce qui a bien pu le convaincre de tenter le coup cette année? «Il a fait froid toute la saison et l’état sanitaire des rieslings était vraiment très bon, je me suis dit qu’avec un peu de chance, ça pouvait marcher», explique-t-il. Il a donc sélectionné une parcelle de riesling de 12 hectares sur le Naumberg (entre Remich et Bech-Kleinmacher) spécialement pour le vin le plus rare. «Cette vigne est idéale pour ça, elle est exposée aux vents et les raisins sèchent vite après la pluie ou la rosée. Grâce à cela, ils ne pourrissent pas vite.»
Et puis, plus prosaïquement, le vigneron reconnaît que l’aspect pratique compte aussi beaucoup : «Elle est facilement accessible, sans trop de pente, avec une route au-dessus et une autre en dessous. Puisqu’on vendange pour le vin de glace au plus froid de la nuit, ce sont des détails qui comptent.»
Ce mercredi 21 décembre au matin, toute la famille était donc opérationnelle dès 6 h 30. Accompagnés de deux ouvriers, ils ont œuvré jusqu’à 8 h pour tout ramasser. «C’est allé vite parce que l’on avait tout préparé la veille», assure Guy Krier. La principale tâche avait été d’ouvrir les filets qui protégeaient les grappes de la pluie, des oiseaux et aussi de la mouche suzukii qui pique les raisins pour y pondre ses œufs. Autre intérêt de l’équipement : il permet de récupérer les baies qui se sont détachées des rafles avant qu’elles ne tombent à terre puisque les filets sont fermés en bas.
En dessert ou en digestif
Sous le contrôle de l’Institut viti-vinicole, l’appellation «vin de glace» a pu être accordée. Il faisait bien les -7 °C réglementaires et le moût titrait plus des 120 ° Oechsle réglementaires (NDLR : l’unité de mesure du taux de sucre). «Au début du pressage, nous avions 131 ° Oechsle et finalement, la cuve en indiquait 125», détaille Guy Krier. Cette courbe est logique, puisque plus les grains sont pressés et plus la glace libérée livre de l’eau qui dilue le premier nectar. «C’est pour cela qu’il faut presser tout doucement et s’arrêter à temps.»
Finalement, cette dernière vendange de l’année a permis de récolter 160 litres de vin. «Mais cela fera encore moins à la fin, on en perdra un peu lors de la filtration», anticipe-t-il. Une quantité très limitée qui rappelle que nous avons affaire là à un vin rare, qu’il convient de boire avec discernement. Sans le climat adéquat et sans la volonté du vigneron, il n’y a pas de vin de glace. Beaucoup misent plutôt aujourd’hui sur le vin de paille, une spécialité approchante qui ne nécessite pas des conditions de vendanges spéciales, juste de récolter des grappes très saines puis de les faire sécher pour que l’eau contenue dans les baies puisse s’évaporer.
«Les vins sucrés ne sont plus tellement à la mode, mais on remarque quand même qu’une certaine demande existe lorsque arrivent les fêtes de fin d’année, notamment.» Cette récolte est donc une aubaine pour le domaine, qui va ainsi pouvoir étendre sa gamme. «Cela faisait longtemps que nous n’avions plus de vin de glace… et nous n’avions plus de vins sucrés du tout, puisque les dernières bouteilles de vendanges tardives, millésimées 2017, ont été vendues en 2020!»
La patience sera pourtant encore de mise avant de déguster ce vin très concentré et aromatique. La fermentation est lente, car devant la quantité de sucre, les levures ont beaucoup de travail. Guy Krier table sur une mise en bouteille autour des mois de juin ou juillet, selon l’évolution du processus.
Et puis, il faudra oublier en cave ces petits flacons pendant plusieurs années. Le sucre mais aussi l’acidité naturelle du riesling vont permettre de garder ce vin des décennies, il n’en sera que meilleur! «Récemment, j’en ai ouvert un de 1999 et il était génial!», sourit le vigneron.
D’ailleurs, quand ouvre-t-il ce genre de bouteille? «Pas en entrée, plutôt à la fin du repas en accompagnement du dessert.» On peut même le servir après le repas, pour remplacer le digestif, histoire de terminer un bon repas sur une friandise. Plaisir des papilles garanti!
En 2016… les raisins avaient gelé deux fois!
La dernière récolte de raisins ayant permis la production de vin de glace datait de 6 ans. Dans la nuit du 29 au 30 novembre 2016, toutes les conditions avaient été réunies. La précocité de ce coup de froid avait été idéale pour produire de jolis vins de glace. À l’époque, les moûts affichaient jusqu’à 140 ° Oechsle.
Drôle d’année que 2016 : dix mois avant la récolte du 30 novembre, les derniers raisins du millésime 2015 avaient été récoltés les 18 et 19 janvier! Les vignerons avaient dû être patients, mais leur attente avait été sacrément bien récompensée. Le lundi, juste avant le lever du soleil, il faisait -10 °C et toujours -7 °C le lendemain. Les raisins étaient donc bien congelés et le résultat formidable.
Trois domaines avaient eu le nez creux : Alice Hartmann (Wormeldange), Schumacher-Lethal (Wormeldange) et Mme Aly-Duhr (Ahn). Ils avaient vendangé des rieslings affichant tous entre 152 et 178 ° Oechsle, des caractéristiques épatantes!
Il faut un peu de chance et cette année, ça a marché!
Au domaine Schumacher-Lethal (Wormeldange), ce n’est pas Tom qui a vendangé les raisins glacés cette année, mais son père Ern (le président des vignerons indépendants), car lui était en vacances lorsque les températures sont tombées.
Espérer récolter du vin de glace, c’est toujours une loterie… cela valait le coup de jouer cette année!
Tom Schumacher : Oui, d’autant que notre dernier datait de 2015 et que depuis, je n’avais même plus essayé. Il faut un peu de chance et cette année, ça a marché! Moi, j’en ai vraiment eu parce que j’étais en vacances avec ma famille cette nuit-là. C’est mon père (NDLR : Ern) qui a dirigé la petite équipe. Avec lui, je suis en confiance : je sais que le travail sera parfait!
Où se trouve la vigne qui a été vendangée?
Juste à côté de la Koeppchen (NDLR : à Wormeldange), dans un endroit où il fait toujours un peu plus froid. Mon père a été la vendanger mercredi. Les 20 ares nous ont donné environ 200 litres. Il est toujours positif de faire le vin de glace tôt dans la saison, avant que les raisins ne soient abîmés. Cette année, ils faisaient 127 ° Oechsle (NDLR : l’unité qui mesure le taux de sucre, il en faut 120 pour obtenir l’appellation vin de glace).
Cette ultime récolte permet de clore une année difficile de belle manière, non?
Oh, mais moi, je suis très content de ce millésime 2021. Ce que j’ai en cave me plaît beaucoup. Les vins n’auront rien à voir avec ceux de 2018 ou 2020 parce que les raisins ne sont pas aussi sucrés, mais ce n’est pas une mauvaise chose. Il y aura davantage de fraîcheur et j’aime ça. On va retrouver des vins luxembourgeois typiques.