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Des histoires dans l’Histoire : le vieux Luxembourg raconté en BD


Intrigues, aventures sentimentales... Le décor de la capitale se prête bien à la bande dessinée ! (illustration Alain Rischard)

Neuf auteurs luxembourgeois ont collaboré à un album de bande dessinée qui a pour décor la forteresse et les vieux quartiers de Luxembourg.

«Nous sommes au début du XXe siècle. Accompagné de son chien, un pauvre diable du Grund fait son tour de la ville pour exercer un métier peu honorable, celui de ramasseur de crottes. Lors des pauses qu’il s’accorde pour cuver ses cuites, Jacko fait d’étranges rêves qui le projettent dans le passé ou dans le futur, où il devient témoin de crimes, d’intrigues, d’aventures sentimentales…»

L’un de ses rêves va l’emmener au Palais grand-ducal, qui sert de décor à une histoire d’amour au travers des siècles. Une histoire d’amour intemporelle, un brin fantasmagorique, qui a été imaginée par l’écrivain et musicien John Rech et illustrée par la dessinatrice et auteure de mangas Sabrina Kaufmann.

C’est l’une des six intrigues que l’on peut découvrir dans la bande dessinée intitulée Fortifications : La forteresse de Luxembourg en BD, qui vient de sortir. L’ouvrage a été créé dans le cadre d’un appel à projets de l’Unesco à l’occasion du 25e anniversaire de l’inscription de la capitale au patrimoine mondial. Il réunit neuf auteurs de bande dessinée du Grand-Duché : Jean-Louis Schlesser, Antoine Grimée, Lucien Czuga, Pascale Velleine, Marc Angel, Andy Genen, Marion Dengler et, bien sûr, John Rech et Sabrina Kaufmann. Des fictions ancrées dans une réalité historique auxquelles chacun a apporté sa propre touche : un style plutôt franco-belge, comic ou encore manga.

Extrait de «fortifications : la forteresse de luxembourg en BD»

Angoisse de la page blanche

Sabrina et John se sont rencontrés en 2014 lors du Walfer Bicherdeeg, le festival littéraire de Walferdange. John est rapidement conquis par le talent de la mangaka et garde depuis lors un œil sur les créations de la jeune femme. « Elle me fascinait, car elle avait une approche différente dans le monde de la BD au Luxembourg », explique-t-il.
Mais c’est il y a un an seulement que les deux artistes commencent à collaborer, à l’occasion de ce projet de l’Unesco, auquel décide de participer l’association créée par Sabrina avec d’autres artistes «D’Frënn vun der 9. Konscht», dont l’objectif est de promouvoir le 9e art. Au fur et à mesure des discussions entre les différents auteurs, l’idée de travailler en binôme a émergé. « J’ai tout de suite demandé à travailler avec Sabrina , lance avec un grand sourire John. Je voulais sortir des sentiers battus. » Pour Sabrina, l’idée de collaborer est moins évidente au premier abord. « C’était la première fois que je travaillais avec un auteur, j’appréhendais le type d’histoire qu’on allait me demander », avoue-t-elle.

Mais au moment de véritablement se lancer, en mars, pandémie, confinement et « blocage complet » pour les deux artistes. « J’ai rencontré des difficultés sur le plan tant professionnel que personnel. Cette période a été très difficile , confie John. J’appartiens à la caste des artistes qui ont été totalement freinés par la crise. Je n’ai pas été inspiré par la situation, même sur le plan musical. » Quant à Sabrina, la crise l’a obligée à lever le pied, ce dont elle avait un besoin vital: « Juste avant la pandémie, j’avais tellement de projets que je ne me respectais plus. Je me suis mise à trembler devant la feuille, je n’avais plus d’inspiration non plus. J’ai dû réapprendre à évaluer mes priorités pendant le confinement et à me respecter. » « On a vécu cette crise et ce blocage en même temps, chacun dans son monde avec nos propres freins. On en a parlé, on l’a accepté sans se mettre de pression, et puis, à un moment, cet été, on s’est libérés. »

Fini l’angoisse de la page blanche. John redécouvre toutes les œuvres de Sabrina, afin de plonger dans son univers manga, doux, romantique, féminin, souvent teinté de fantastique. « Je voulais voler son âme !, plaisante l’auteur. Je voulais écrire comme elle, me mettre à son service. J’avais déjà écrit des histoires d’amour en chansons, mais en BD, c’était une première. »

«Une belle collaboration»

De son côté, Sabrina a pu suivre les indications nées des recherches de John. « D’habitude, même si je fais des recherches, je prends beaucoup de libertés par rapport à l’aspect historique. Là, j’ai vraiment fait un travail de précision pour pouvoir bien représenter les vêtements par exemple. »

En résulte donc cette histoire d’amour intemporelle, fantastique, avec un amoureux qui saute de tableau en tableau. Une histoire qui tire sa genèse de faits réels, rapportés par la spécialiste de l’histoire publique Marie-Paule Jungblut, qui a accompagné les neufs auteurs de la BD en leur proposant documentation et suivi. « À l’origine, il y avait ce jeune capitaine de cavalerie, Charles, qui logeait à Luxembourg dans les années 1680. Il tombe amoureux de Marie Margareth, mais leurs familles s’opposent à cette union. Les tourtereaux parviennent toutefois à se marier en secret. Mais en 1684, Charles meurt en défendant la ville aux côtés des Espagnols contre les Français. Quelques mois plus tard, c’est leur tout jeune enfant qui succombe, avant Marie Margareth, qui meurt de variole. On a adoré combiner histoire et histoire d’amour », relate John.

Le plus dur dans cette aventure ? « En pleine crise sanitaire, nous n’avons pas eu le droit de visiter le Palais grand-ducal, puis, quand nous avons pu nous y rendre, interdiction formelle de prendre des photos! », expliquent de concert les artistes. Visites virtuelles, captures d’écran et échanges avec des membres du personnel du palais leur ont finalement permis de mettre en scène leur histoire.

C’est en tout cas une expérience tant humaine qu’artistique qu’il espèrent tout deux réitérer. « On a montré qu’on pouvait créer quelque chose de beau tous ensemble », résume John, suivi de Sabrina : « C’était une belle collaboration. La première fois est la plus difficile, car on apprend à se connaître, mais c’était passionnant. »
Fortifications : La forteresse de Luxembourg en BD, 88 pages, 25 euros. Disponible en librairie en français, anglais et luxembourgeois.

Tatiana Salvan