Accueil | Luxembourg | «Croissance qualitative» au Luxembourg, de quoi parle t-on?

«Croissance qualitative» au Luxembourg, de quoi parle t-on?


Les bureaux poussent dans le sud de la Capitale... jusqu'où encore? (Photo: Herve Montaigu)

«Croissance qualitative» : le mot est sur toutes les lèvres en vue des élections luxembourgeoises, prévues en octobre. Une phrase magique pour dire que tous les problèmes seront résolus? Franz Clément, chercheur au Liser, livre son analyse.

Que signifie le terme «croissance qualitative» que l’on entend dans les débats des législatives?
Franz Clément : Dans le domaine de la croissance, comme dans d’autres domaines, le Luxembourg est un laboratoire des défis mondiaux. Les pays vont toujours travailler pour avoir plus de croissance, mais cette croissance va avoir des conséquences de plus en plus fortes sur nos vies. Pour faire un raccourci pratique, la croissance, c’est le bien-être. Et on est en train de se rendre compte qu’une croissance non maîtrisée produit l’inverse du bien-être justement. Transport, habitat, démographie ou le thème phare de l’environnement… Le Luxembourg est un petit pays où l’on se pose la question de limites avant les autres, voilà tout. Car les conséquences sont déjà visibles à l’œil nu, comme avec l’extension folle des embouteillages.
La croissance qualitative est donc une évolution qui s’impose? Ou est-ce que des partis politiques pourront dire : « On continue comme avant »?
Il faut reprendre l’évolution économique du Luxembourg pour bien comprendre de quoi on parle. Le pays a toujours été très bien géré, on a toujours anticipé les problèmes et proposé des solutions à l’avance. La crise sidérurgique des années 1970 est passée de manière quasiment indolore au niveau de l’économie, ce qui n’a pas été le cas en Wallonie ou en Lorraine, car le Luxembourg avait préparé la reconversion vers le secteur bancaire. Avec les défis d’une nouvelle croissance, on assiste exactement à la même chose : le Grand-Duché n’attend pas d’être au pied du mur, il prépare la suite depuis pas mal de temps et le rapport Rifkin, élaboré en 2016, est déjà en cours d’exécution. Donc je vois mal un parti s’exclure de ce débat.

Franz Clément, chercheur au Liser, explique que la croissance qualitative s'impose au Luxembourg (photo Julien Garroy).

Franz Clément, chercheur au Liser, explique que la croissance qualitative s’impose au Luxembourg (photo Julien Garroy).

Mais les processus s’accélèrent. Quel risque pour le Luxembourg dans cette reconversion sans filet? On ne va pas refuser des entreprises de «l’Ancien Monde» (Yaourtgate) éternellement…
Le gros enjeu va surtout se jouer au niveau de la formation professionnelle. Avec la digitalisation de la société, on est certain que des emplois vont purement disparaître. C’est le fameux exemple des caissières, mais l’industrie et le tertiaire vont trinquer aussi. En revanche, on a peu de certitudes sur les domaines de création de nouveaux emplois. C’est là que le rythme du progrès va entraîner un casse-tête jamais vu dans l’histoire de l’éducation : on va devoir anticiper des emplois que l’on ne connaît pas forcément. Si les chercheurs nous disent que nous ne connaissons pas 50 % des métiers du futur, ça va être un sacré défi que d’adapter le système professionnel à une réalité.
Une classe d’âge, le temps de l’amener aux études supérieures, c’est au moins 20 ans.
Tout à fait, d’où l’ampleur du défi.
D’autant plus que l’on ne peut plus dire, comme à l’époque de la sidérurgie : «On est assis sur une mine d’or, on va miser à fond là-dessus.»
On est en train, il faut bien le dire, de faire un saut dans l’inconnu. C’est une rupture par rapport au modèle que l’on a connu dans le passé puisqu’avec la reconversion bancaire, nous y sommes allés «à fond» aussi. Il faut diversifier l’économie comme jamais.
Maintenant, je remarque quand même que depuis la dernière génération, le Luxembourg a recouru à des recrutements de pointe pour les faire correspondre à des emplois d’avant-garde (TIC, etc.). Je pense que le Grand-Duché est déjà engagé dans une croissance qualitative depuis plusieurs années. On en parle plus volontiers depuis le rapport Rifkin, rendu en 2016. Mais pour le moment, le Luxembourg anticipe bien.

Un actif sur cinq travaille au Luxembourg à Metz. La question du transport ne résoudra pas tout (Photo : Karim Siari / Republicain Lorrain).

Un actif sur cinq travaille au Luxembourg depuis Metz. La question du transport ne résoudra pas tout (Photo : Karim Siari / Republicain Lorrain).

Quelle place pour le travailleur frontalier dans cette croissance qualitative? Va-t-on avoir moins besoin de lui?
Avec une population résidentielle de 600 000 habitants et une main-d’œuvre frontalière qui atteindra bientôt les 200 000 employés, on a créé un laboratoire inédit. La forte augmentation de la population de résidents est inévitable dans un endroit dynamique, même pour un petit pays. Regardez Monaco : cela fait longtemps que l’on construit en hauteur uniquement et que l’on a même gagné des terres sur la mer! Le Luxembourg ne va pas assécher le lac de la Haute-Sûre, peu importe son programme de logements. Donc l’autre défi avec l’habitat, c’est la mobilité vis-à-vis des frontaliers. Car tous les dirigeants, peu importe leurs couleurs politiques, tous les syndicats, tous les patrons clairvoyants vous le diront : on a besoin de la main-d’œuvre frontalière pour poursuivre le développement du pays.
Sur la mobilité transfrontalière, on a l’impression que les choses traînent justement.
Il y a des initiatives qui se concrétisent sur le transport, il faut les saluer. Mais je pense qu’il faut sortir de la seule question des infrastructures. Il faut multiplier les moyens qui permettent aux frontaliers de travailler depuis leur pays d’origine de façon urgente. Il existe des conventions bilatérales entre le Luxembourg et ses voisins pour permettre des jours de télétravail (NDLR : dont l’augmentation récente à 29 jours pour la France). Mais il reste un gros problème : la sécurité sociale ne relève pas forcément d’une relation bilatérale. C’est un règlement européen qui date de 2004, entré en application en 2010, et qui prévoit que si vous passez plus de 25 % de votre temps en dehors du pays de travail, vous êtes désaffilié de la sécurité sociale de ce pays. Autant des conventions bilatérales peuvent se renégocier facilement, autant un règlement européen est une gestation d’éléphant.

Propos recueillis par Hubert Gamelon.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.