Au pied du pont frontalier, les caves de Bernard-Massard célèbrent cette année leur centenaire. Une fête sans flonflons ni trompettes (cette année du moins), mais avec deux nouveaux crémants. Le premier, appelé 1921, vient de sortir.
De 1921 à 2021 : le compte est bon, cela fait bien un siècle que Bernard-Massard est un acteur majeur de la Moselle viticole. Fondée en 1921 par Jean Bernard, un œnologue luxembourgeois qui travaillait jusque-là en Champagne, la marque n’a pas tardé à voir les choses en grand. La taille du bâtiment, qui a tout de même été agrandi depuis, l’atteste. Antoine Clasen, l’actuel directeur général, explique : «Dès le début, Jean Bernard et ses associés (NDLR : dont ses aïeux, Antoine Clasen représente la cinquième génération) avaient de grandes ambitions, notamment vers l’export.» En bâtissant un bâtiment comme celui-là, difficile de la cacher!
Avec ce siècle d’existence, Bernard-Massard installe une tradition : celle de proposer une nouvelle bouteille pour célébrer chaque cinquantenaire comme il se doit. En 1971, Hubert Clasen (le père d’Antoine) et Freddy Sinner (le maître de chai, à la retraite depuis 2016) avaient lancé la Cuvée de l’Écusson. Le coup avait tellement bien marché que ces bulles qui devaient être éphémères n’ont jamais cessé d’être produites. Elles sont même devenues le vaisseau amiral des caves, un flacon dont les ventes ne cessent de grimper en Belgique mais aussi en Finlande et surtout au Québec où leur succès est épatant. Outre-Atlantique, Bernard-Massard vend désormais 500 000 cols par an et se hisse sur le podium des bulles les plus vendues par la SAQ (le monopole d’État qui vend les alcools)!
Nous verrons s’il plaît, et si le cas, nous le garderons
«La réussite de la Cuvée de l’Écusson nous a inspirés, sourit Antoine Clasen. Cette fois, nous avons décidé de produire un crémant de Luxembourg haut de gamme et produit dans des quantités suffisamment importantes pour être largement disponible, notamment en grande surface.» Même au-delà des célébrations du centenaire? «Oui, l’idée est de le pérenniser, avoue le directeur général. Nous verrons s’il plaît, et si c’est le cas, nous le garderons. Il y a une place dans notre gamme pour ce 1921.» Cette cuvée se place désormais aux côtés des crémants Thill’s, Bernard-Massard millésimés (le 2016 est actuellement en vente), Roude Léiw ainsi que des différents Clos des Rochers (brut, millésimé, rosé et Cuvée Frédéric Clasen).
Ce 1921, qui porte l’appellation d’origine protégée (AOP) Crémant de Luxembourg, est produit avec des raisins provenant de parcelles de chardonnay, de pinot noir, de riesling, de pinot blanc et de pinot gris sélectionnées en amont. «Le pinot gris est inhabituel dans un crémant, relève Antoine Clasen. Il est très minoritaire, mais il apporte une note ronde et fruitée très intéressante!»
Un papier à en-tête de 1921
Les grappes ont été récoltées en 2017 et, surtout, en 2018, toujours à la main (comme l’impose le cahier des charges de l’AOP). «Il a fait très chaud en 2018 et nous étions les premiers à vendanger sur la Moselle pour que les raisins conservent l’acidité qui est la colonne vertébrale des méthodes traditionnelles.» En cave, seul le cœur des presses (le meilleur jus) a été conservé. Les bouteilles ont ensuite eu le temps de s’affiner grâce aux trois ans passés sur lies. «Nous n’avons pas lésiné sur les moyens», glisse Antoine Clasen.
Chez Bernard-Massard, le contenant est toujours très travaillé. Ici, l’étiquette sort du lot et attire immédiatement le regard. L’œil averti peut y lire une foule de petits détails. Antoine Clasen, grand amateur d’art et de design, en a confié la création à l’artiste luxembourgeoise Anne Mélan. «L’inspiration vient d’un papier à en-tête daté des tout débuts de la maison, en 1921, que j’ai retrouvé dans les archives. J’ai trouvé cette représentation de la cave, de la Moselle et du pont qui l’enjambe très belle», explique-t-il. Les traits ont été modernisé, mais l’esprit est resté : on reconnaît le bâtiment principal… et même la Kräizkapell qui domine le terroir du Fels, un des chouchous de la maison.
À gauche, les médailles stylisées représentent les nombreuses récompenses obtenues par les vins produits ici. Entre les drapeaux européen et luxembourgeois (le roude Léiw), on distingue la gloriette du Clos des Rochers, propriété de la famille Clasen. Des papillons volent autour de cette composition, parce que «ce sont mes parents qui ont créé le Jardin des papillons à Grevenmacher (NDLR : cédé en 2011 à la Fondation Élisabeth, il est aujourd’hui un atelier d’inclusion de Yolande Coop)». En dessous, on reconnaît le portrait du fondateur, Jean Bernard, ainsi que les fûts en bois stockés dans la cave.
À droite, le blason de Bernard-Massard (qui s’inspire de celui de l’évêché de Trèves, l’ancien propriétaire des vignes) est surmonté des drapeaux des trois principaux marchés à l’exportation que sont la Finlande, la Belgique et le Canada. On voit aussi dans le coin inférieur le château de Schengen, qui s’inspire du dessin de Victor Hugo repris sur les étiquettes du Domaine Thill, également dirigé par Bernard-Massard.
À travers cette étiquette richement ornée, c’est donc toute l’histoire de la maison que l’on appréhende. Une belle idée qui est le fruit d’un long travail de réflexion. «Comme souvent, le résultat est complètement différent de l’idée de départ, rigole Antoine Clasen. À l’origine, je voulais travailler sur l’idée des racines, un concept qui fait sens dans le monde du vin (NDLR : les nouvelles étiquettes des vins tranquilles en représentent depuis l’année dernière). Mais cette piste n’a rien donné, ce n’était pas assez fort. C’est lorsque j’ai trouvé ce papier à en-tête que ça a fait tilt. Nous avons repris l’atmosphère d’un des premiers visuels produits par Bernard-Massard et le travail de l’artiste a fait le reste.» Aussi simple que ça!
Erwan Nonet
Antoine Clasen l’assure, «cette année, nous n’organiserons aucun évènement pour célébrer notre centenaire». «Dans le contexte actuel, où il est impossible de prévoir quoi que ce soit, cela n’aurait aucun sens et je suis persuadé que nos clients le comprennent.» Il ne s’interdit pas, par contre, de fêter en grande pompe le 101e anniversaire de Bernard-Massard, en fonction de la tournure des évènements.
Mais outre le tout nouveau 1921, Antoine Clasen s’apprête aussi à mettre sur le marché un crémant encore plus haut de gamme et en quantité très limitée pour marquer ce premier siècle. «Il s’agit d’une cuvée particulièrement prestigieuse, produite à base de chardonnay et de pinot noir dont les vins de base ont entièrement vieilli dans de grands foudres en bois.» Il existera moins de 2 000 exemplaires de cet extra-brut embouteillé dans une magnifique bouteille sérigraphiée. Son prix sera en relation avec sa rareté et la minutie de son élaboration.