Laetitia, une fleuriste, ne comprend pas pourquoi sa boutique doit rester fermée alors que des commerces non spécialisés peuvent vendre des fleurs. Pour survivre, elle s’est mise à la livraison.
L’heure n’est pas à la joie du côté des fleuristes du pays qui ont dû fermer boutique depuis le début du confinement. À Belvaux, la responsable du commerce Hokipoki & Cie depuis quatre ans, Laetitia, essaye tant bien que mal de garder la tête hors de l’eau.
«Dès le début du confinement, il a été dit qu’on devait fermer complètement. Mais au fil des premières semaines, j’ai constaté sur Facebook que d’autres fleuristes effectuaient des livraisons. J’ai alors téléphoné à la Chambre des métiers pour me renseigner. On m’a répondu que les livraisons n’étaient autorisées que pour une clientèle professionnelle. Après avoir insisté, la Chambre des métiers m’a fait savoir que j’avais le droit de livrer des particuliers si les indications sanitaires du gouvernement étaient respectées. Quand j’ai appris cela, j’ai également mis une annonce sur Facebook pour signaler que je faisais aussi des livraisons. Cela s’est passé du jour au lendemain», relate Laetitia avec amertume.
«Mal informée dès le début du confinement»
Car la fleuriste estime avoir été «mal informée dès le début du confinement. Je n’étais même pas au courant de ce que l’on a le droit de faire ou pas.» Depuis qu’elle s’est mise à la livraison, à Pâques (c’est-à-dire qu’elle est restée complètement fermée durant les trois premières semaines du confinement), ses clients sont très soulagés d’après elle. «J’ai quand même eu pas mal de commandes de bouquets à Pâques, mais le volume de commandes est très variable d’un jour à l’autre et il a significativement baissé depuis. Dès la mise en place des livraisons, je n’ai pas souhaité m’imposer un budget spécifique pour livrer. Nous sommes en crise, tout le monde s’adapte et j’ai joué le jeu. Des fois j’ai livré pour 15 à 20 euros de fleurs ou plantes : c’était vraiment pour rendre service aux clients, mais pas forcément pour m’aider moi-même d’un point de vue financier», confie Laetitia.
La commerçante explique aussi qu’un service de livraison «prend beaucoup de temps, car je n’ai pas d’employés, sans parler de l’essence, même si le prix du carburant a baissé. C’est un casse-tête permanent : il faut contrôler internet, Facebook Messenger, les courriels… et puis je fais les livraisons moi-même, dans une camionnette sous contrat leasing : bref, je dois tout gérer et, psychologiquement, c’est très épuisant!»
En cours de confinement, la fleuriste apprend également qu’elle est autorisée à vendre en «drive» : ses clients passent leur commande à distance, puis se rendent à la boutique, sonnent à la porte et récupèrent leurs fleurs. Ils règlent soit par Digicash soit par virement en ligne. «Les commandes, en livraison ou à emporter, c’était notamment des bouquets pour anniversaires, ainsi que des arrangements de fleurs pour Pâques. En fait, je ne pouvais pas faire énormément de propositions, c’était surtout des bouquets que je proposais. Par contre, je n’ai pas eu la moindre commande pour un enterrement», indique-t-elle.
Et qu’en est-il des commandes de muguet pour le 1er mai ? «Je ne vais pas faire de livraisons pour un peu de muguet, car je ne rentrerais pas dans mes frais. Mais les gens pourront venir le chercher, en pot, car je ne le fais pas sous forme de brins.» Pour ce qui est de l’approvisionnement, la fleuriste peut compter sur un fournisseur néerlandais qui a un dépôt à Argancy (entre Thionville et Metz) et sur un autre fournisseur qui a un dépôt en Belgique.
«J’ai perdu tous mes clients âgés et frontaliers»
Concernant une indemnisation éventuelle, Laetitia souligne n’avoir «rien touché du tout. Je n’ai pas eu droit au chômage partiel, car je suis patronne de ma société, mais je suis aussi employée dans ma société et je paie quand même les cotisations sociales. Je ne comprends donc pas ce refus de l’Adem. Et aujourd’hui (mercredi), j’ai reçu une lettre de la direction générale des Classes moyennes (NDLR : ministère de l’Économie), qui dit que je n’ai pas le droit à la prime pour indépendants, étant donné que j’étais autorisée à livrer dès le début du confinement… Mais, pour rappel, je suis restée complètement fermée pendant trois semaines, car cela a été imposé à mon secteur d’activité.»
Cela dit, le plus frustrant pour la fleuriste est peut-être le fait que d’autres commerces tels que les stations-services, magasins de bricolage ou encore supermarchés, sont autorisés, eux, à vendre fleurs et plantes : «C’est complètement injuste et illogique. Je comprends tout à fait que le secteur de l’alimentation reste ouvert, mais pas le fait qu’il puisse vendre des fleurs ou des produits qui n’ont rien à voir avec l’alimentation. Ce manque de solidarité incroyable existe dans beaucoup de métiers de l’artisanat. Ce n’est pas non plus normal que des pompes à essence vendent des fleurs et que le fleuriste du village se voit interdire d’ouvrir. Car les stations-services ne vivent pas de ce genre de produits, ils ne devraient pouvoir les vendre que pour dépanner, lorsque les fleuristes sont fermés le dimanche par exemple. Ce n’est pas non plus normal que les grandes surfaces vendent ces produits même pas au prix auquel nous on les achète. C’est de la mauvaise concurrence et cela écrase les petits commerces parce que les gens nous prennent pour des voleurs, alors que nous on vit de la fleur et des plantes.»
Pour revenir au muguet, week-end du 1er mai oblige, Laetitia estime que sa vente devrait être réservée aux fleuristes et non aux pompes à essence, aux grandes surfaces… «Sinon, moi, je vais me mettre aussi à vendre des cigarettes ?», s’interroge-t-elle avec ironie. Avant pour elle d’enfoncer le clou : «Je ne trouve pas logique non plus que les jardineries aient été autorisées à ouvrir et qu’il y ait 200 personnes qui s’y ruent pour ensuite faire la queue, alors que les petits fleuristes doivent rester fermés, alors qu’il n’y a pas de file d’attente chez eux.»
Alors, forcément, Laetitia souffre du manque à gagner, même s’il est très difficile pour la fleuriste et son comptable de se faire une idée précise de la perte de chiffre d’affaires. «J’ai perdu toute ma clientèle de personnes âgées à qui je vendais des coupes pour le cimetière, ou des bouquets destinés à fleurir les tombes ou à être offerts à la famille. Les personnes âgées ne se déplacent pas, elles n’ont ni internet ni Facebook, ou bien elles ne savent pas trop s’en servir. De plus, il y a un manque à gagner par rapport aux communions qui n’ont pas eu lieu, aux mariages annulés, aux anniversaires de mariage annulés… C’est compliqué d’estimer la parte d’une année à l’autre. Pâques, par exemple, a été célébré deux semaines plus tôt cette année. Sans parler de ma clientèle frontalière que j’ai aussi perdue, car les gens de France ne peuvent pas venir jusqu’ici pour acheter des fleurs.»
Face à cette situation très difficile, Laetitia assure toutefois rester optimiste, car elle compte bien continuer à se battre «pour ses clients» qui l’ont soutenue par le biais d’une collecte. «Mais si la situation devait s’éterniser, je serais forcée de mettre la clef sous la porte», conclut-elle.
Claude Damiani
À Belvaux, on sait se montrer solidaires. Une dame de la localité a en effet offert des masques en échange de dons en espèces, qui une fois collectés, ont permis de remettre une enveloppe de 250 euros à la fleuriste Laetitia.
«Les gens se sont cotisés pour moi, et ont laissé de la monnaie à chaque fois qu’ils passaient, comme des pourboires. Ils ont toujours tenu à faire un geste! Je suis témoin d’une très grande solidarité et si je n’avais pas eu ces clients fidèles et compatissants, je crois que j’aurais abandonné et fermé définitivement, juste après Pâques. Cette collecte, dont je ne savais rien, m’a redonné énormément d’énergie et de courage : j’ai été émue et vraiment touchée», souligne la fleuriste.
C. D.