L’inauguration, jeudi soir à Esch-sur-Alzette, des nouveaux établissements de la place de la Résistance achève sept ans de rénovation. Une modernisation séduisante, mais des frustrations pour les anciens cafés.
Deux mondes se sont observés sans vraiment se comprendre, jeudi soir à Esch-sur-Alzette. Place de la Résistance, les élus ont inauguré en grande pompe les nouveaux pavillons blancs. Crémant, DJ, musique lounge : les propriétaires des nouveaux locaux, un bistrot japonais et un café haut de gamme, avaient mis les petits plats dans les grands.
Ces structures blanches, bâties en fait il y a deux ans, encadrent l’esplanade dessinée par Kamel Louafi, architecte de renommée internationale. Les attentes de la commune étaient claires sur ce point : « Redynamiser la place, dans la continuité de la principale artère commerçante d’Esch », retrace Vera Spautz, bourgmestre. L’inauguration de jeudi parachève donc une opération de requalification lourde, lancée dès 2008 : parking souterrain de 500 places, nouvelle esplanade, nouveaux espaces commerciaux.
D’un point de vue extérieur, n’importe qui l’avouerait, la place de la Résistance est une réussite. Fini l’ancien parking gris à ciel ouvert, bonjour le parc moderne que de nombreux Eschois se sont appropriés, et qui symbolise la mixité des continents. Mais il y a des perdants dans l’opération.
C’est l’autre monde : celui des troquets implantés depuis toujours, un peu perdus face à tout ce barouf digne d’un apéro «hype» dans la capitale. Les tenanciers des environs désapprouvent largement ce « grand gâchis d’argent public ». « La place n’est pas plus dynamique qu’avant, estime une patronne de bar qui veut céder son affaire pour des problèmes de rentabilité. Les nouvelles baraques blanches font aussi café, il ne faut pas se leurrer. Nous n’avions pas besoin de plus de concurrence. »
Même écho dans une rue proche : « Nous avons eu des travaux pendant cinq ans pour cette histoire… Les gens ne s’arrêtent pas dans ce parc, ils ne font que passer. Avec un peu de bon sens, on aurait pu imaginer des jeux pour enfants! Autre chose que ces structures modernes et froides .» Pour ne rien arranger, de nombreux cafés rappellent qu’ils subissent déjà de nouvelles lois contraignantes. « L’interdiction de fumer dans les bars depuis bientôt deux ans, les hausses de la TVA de 3 % à 17 % sur l’alcool, etc., ça fait beaucoup! »
D’autres tenanciers enfin, trouvent que l’esplanade est plutôt réussie, mais que les modules blancs gâchent la vue depuis leur terrasse. « On propose aux gens d’avoir la vue sur un autre bar. À ce niveau-là, autant s’asseoir en face directement .» Dernière remarque récurrente : la fin des animations. « Aujourd’hui, tout se passe devant l’hôtel de ville, souffle un barman. Avant, avec le parking, nous avions des brocantes, un marché de Noël, le marché du mardi, etc. Tout ça, c’est fini avec leurs conneries .» L’amertume de certains tenanciers confine au désespoir.
Bref, le bonheur des uns semble avoir fait le malheur des autres dans ce projet. Cependant, c’est le résultat de tout changement. Et une commune comme Esch-sur-Alzette, qui se modernise à grands pas, n’a pas le droit d’avoir peur du changement.
Hubert Gamelon
Une offre « complémentaire »
Vera Spautz, la bourgmestre d’Esch-sur-Alzette, réfute en bloc l’idée d’une concurrence malsaine entre anciens cafés et nouveaux bâtiments de la place du Brill.
«Nous avons cherché une complémentarité dans l’offre, explique-t-elle. Le restaurant japonais n’a rien à voir avec un établissement standard et le torréfacteur ne vend pas d’alcool. La concurrence est saine, l’offre variée.»
Vera Spautz insiste par ailleurs sur la cohérence du projet : «Il s’agit bien de prolonger l’axe piéton et de créer une harmonie avec le musée national de la Résistance.»
La modernisation d’Esch rend la ville attractive. Il y a encore beaucoup à faire. Tant pis pour les vieux tenanciers.