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Thionville – Procurations : il y aurait eu fraude


Anne Grommerch nie vigoureusement avoir eu connaissance d'agissements douteux, mais admet l'existence des procurations frauduleuses. (Photo DR)

L’affaire des procurations de l’élection municipale de 2014 à Thionville progresse et pourrait connaître de nouveaux développements rapides.

Après le placement en garde à vue de trois personnes de l’entourage de la députée Anne Grommerch, le juge d’instruction qui a ouvert une information judiciaire depuis juillet dernier pourrait procéder dans les semaines qui viennent à des mises en examen, marquant une nouvelle étape dans ce dossier.

L’IGPN a interrogé plus de cent personnes

L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a livré en avril dernier les conclusions de l’enquête menée durant plusieurs mois sur commission rogatoire. Durant cette phase de la procédure, les super-policiers avaient en main les procurations thionvilloises qu’ils ont épluchées ainsi que des comptes rendus d’écoutes téléphoniques, puisque l’un des protagonistes se trouvait placé sous surveillance dans le cadre d’une autre enquête.

Plus de 500 procurations ayant été utilisées durant le scrutin, les enquêteurs se sont focalisés sur celles de personnes âgées de plus de 90 ans potentiellement victimes d’un abus de faiblesse. L’IGPN a entendu plus d’une centaine de personnes pour déterminer si les soupçons de fraudes dénoncées dans la plainte pénale déposée par Bertrand Mertz reposaient sur des éléments sérieux. Des dizaines d’électeurs ont été auditionnés, ainsi que des membres de leur entourage et des fonctionnaires de police thionvillois. Une cinquantaine de procurations se seraient avérées frauduleuses.

Abus de faiblesse d’électeurs de plus de 90 ans ?

Selon la loi, le mandant qui souhaite donner procuration doit se rendre lui-même au commissariat de police (ou dans une brigade de gendarmerie). Si son état de santé ou une infirmité l’empêche de se déplacer, un policier peut se rendre à son domicile pour établir la procuration. Sauf que dans ces cas, ces personnes n’avaient fait aucune demande et que celui ou celle qui s’est présenté devant elles n’était pas habilité à le faire.

De plus, ces personnes n’auraient manifestement pas été en état d’émettre une consigne de vote ou un désir de voter, du fait de leur âge ou de leur santé. Certains électeurs concernés seraient d’ailleurs dans un état de faiblesse tel qu’il n’a même pas été possible de les entendre… Pourtant, ils ont «voté». Ou plutôt, quelqu’un aurait voté à leur place. Deux personnes sont particulièrement visées, Yohan Weyh, un policier impliqué dans la campagne d’Anne Grommerch, ainsi que l’une de ses colistières qui aurait agi sous les conseils du fonctionnaire de police.

La troisième personne, collaboratrice de la députée, serait mise en cause pour avoir participé à l’élaboration de ces fausses procurations en désignant les mandataires à qui il revenait de se rendre au bureau de vote le jour de l’élection pour glisser un bulletin supplémentaire dans l’urne au nom de l’électeur resté chez lui.

Anne Grommerch soutient ses proches

Anne Grommerch bénéficie d’une immunité du fait de son statut de député. Ce qui n’empêche qu’elle a été également entendue par les enquêteurs de l’IGPN la semaine dernière. Elle nie vigoureusement avoir eu connaissance de tels agissements, mais elle admet l’existence de ces procurations frauduleuses. Elle maintient un soutien sans faille à sa collaboratrice qu’elle estime honnête et digne de bonne foi.

Quant à sa colistière, elle privilégie également la bonne foi, estimant qu’elle aurait pu être influencée, voire manipulée par le policier pour agir illégalement sans en avoir conscience. «Elles se sont fait avoir naïvement», estime-t-elle. C’est ce policier qu’Anne Grommerch met en cause. «Je n’ai pas eu de contact direct avec lui, précise-t-elle cependant. Moi, j’étais sur le terrain. Si je l’ai croisé, c’est lors de réunions avec les militants.» Elle pointe par ailleurs un dysfonctionnement au niveau du commissariat de police, ce que l’enquête a d’ailleurs formellement établi.

Un dysfonctionnement au commissariat de police

Le commissariat de police de Thionville souffrant d’un sérieux manque d’effectifs, la supervision des procurations de vote avait été confiée à un groupe d’enquête composée de huit officiers de police judiciaire. C’est à eux qu’il revenait de valider les procurations qui leur étaient soumises. Les documents étant rédigés par des collègues de l’accueil, ces officiers de police judiciaire n’ont à l’évidence pas pris le temps d’effectuer de vérifications. On leur a apporté des documents qu’ils ont signés, mécaniquement.

Depuis, ces OPJ se sentent abusés, car c’est l’un des leurs, dont ils n’avaient aucune raison de se méfier, qui leur a glissé les procurations frauduleuses. «Il venait avec une pile à chaque fois quand nous étions débordés avec des garde à vue à gérer», plaident-ils. Leur responsabilité est incontestable, mais aucun ne se sent pour autant coupable de fraude. S’ils y ont participé, c’est à leur insu, par négligence, surtout que l’un de ces OPJ se trouve être parent avec un colistier de Bertrand Mertz !

Yohan Weyh dit qu’il n’aurait pas agi seul

Le principal acteur de ce dossier apparaît être le policier qui s’est impliqué dans la campagne d’Anne Grommerch parmi les militants de l’UMP, parti dont il est adhérent. La procédure actuelle s’intéresse au fait de savoir s’il aurait agi de son propre chef et qui savait ce qu’il faisait. Il refuse de s’exprimer, même s’il se défend d’avoir agi seul et précise qu’il ne s’est pas rendu dans les maisons de retraite. Quelle a été sa motivation ? Aucune réponse n’est apportée.

Anne Grommerch, qui avait été incitée à se méfier de ce policier par une autorité locale, dit s’interroger elle-même sur la motivation de l’intéressé. «C’est toute la question !», admet-elle. Mais il ne fait guère de doute que ces procurations ont contribué à sa victoire dans la mesure où elles ont été portées par des personnes issues de son entourage politique. Ce qui n’implique pas qu’elles aient eu connaissance qu’il s’agissait de faux…

Un système de collecte légal qui aurait dérapé

Des proches du dossier sont plus affirmatifs, évoquant un système organisé. Ce genre de dispositif de collecte des procurations est d’ailleurs un classique des campagnes électorales. C’est tout à fait légal tant qu’il est question de recueillir les voix d’électeurs qui ne peuvent pas se rendre aux urnes et qui confient leur vote à une autre personne en parfaite connaissance de cause.

Mais c’est ce même dispositif de campagne qui aurait dérapé entre les deux tours des municipales thionvilloises, quand des procurations de personnes non consentantes ont été ajoutées aux procurations ordinaires. Aucun frein n’est apparu. Au contraire, puisque le jour même du scrutin 34 procurations soi-disant oubliées puis retrouvées par le policier militant ont encore été ajoutées après l’intervention du sous-préfet Étienne Stock. Il s’est avéré qu’au moins 12 de ces procurations étaient frauduleuses. Le sous-préfet n’a toutefois pas été interrogé sur les raisons de son intervention…

Le calendrier judiciaire suscite des questions

D’autres questions restent également en suspens, dont celle du calendrier judiciaire. Certes, l’enquête de l’IGPN s’avère longue mais Anne Grommerch s’étonne, et elle n’est pas la seule, d’une accélération de la procédure à deux mois de la nouvelle élection municipale. «C’est peut-être un hasard du calendrier, mais c’est un « bon » hasard», raille-t-elle.

Le parquet avait pris ses distances et décidé de dépayser le dossier de Thionville vers Metz. À l’évidence, cela n’a pas suffi pour éviter certaines interrogations alors que la campagne électorale débute en vue du premier tour des Municipales, le 14 juin.

Olivier Simon (Le Républicain Lorrain)

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