Accueil | Grande Région | Moselle : qu’espèrent les derniers Gilets jaunes ?

Moselle : qu’espèrent les derniers Gilets jaunes ?


« Et puis, se prendre 135 euros d’amende chaque week-end, perdre un œil ou un bras, ça peut dissuader. » (Photo illustration AFP)

Ils font partie du dernier carré. Ils occupent toujours des ronds-points à Augny, Aumetz ou Saint-Avold. Ils organisent plus discrètement des réunions, échangent beaucoup. Et sont fidèles au samedi après-midi. Qu’est-ce qui fait encore avancer les derniers Gilets jaunes lorrains ?

Agitez-leur des chiffres – environ 7 000 seulement avant-hier selon la police, 20 000 selon eux sur l’ensemble du territoire –, ils opposent que « le mouvement est bien plus large que le nombre de manifestants ». Si vous leur parlez essoufflement de la contestation des Gilets jaunes, mauvais scores aux dernières élections européennes, ils répondent que « le feu couve. Les flammes peuvent reprendre à tout moment ! » Ils ne sont plus nombreux. Mais le dernier carré visible diffuse une foi à toute épreuve. Les personnes croisées à Aumetz, à Augny ou en Moselle-Est croient à l’occupation des ronds-points et au grand soir. Mais qu’attendent-ils encore, au fond ? Pourquoi courent-ils encore ?

« Le mouvement n’est pas mort, c’est important de le montrer. On n’a pas répondu à nos demandes, il n’est pas question d’arrêter », justifie Bertrand, un quinquagénaire de Moselle-Est, qui a trouvé « un sens à ma vie. J’attendais ça depuis longtemps, je ne vais pas flancher maintenant. Je ne peux pas… »

« 135 € d’amende chaque week-end, ça dissuade« 

A Aumetz, le camp reste debout. « C’est le seul qui n’a pas été démantelé par les autorités. Il a brûlé trois fois. Mais on est toujours là », dit, plutôt fier, Roland, 77 ans. Les lieux ont été réaménagés. Un dimanche soir, une centaine de personnes s’est rassemblée pour marquer le coup. « Nous, on ne retient pas le nombre de présents dans les manifs. Ce qui compte, c’est qu’on ne s’en sort pas. Le 10 du mois, on n’a plus d’argent… », insiste Aurélie, qui a posé la première palette à cet endroit, il y a plus de six mois.

On devine que l’indifférence représente le plus grand danger pour le mouvement, né sur les braises du pouvoir d’achat. « On peut comprendre. Les gens ont leurs vies personnelle et professionnelle. Les vacances. Ce n’est pas évident de tenir. On le voit, ils viennent moins », prolonge Christophe. Aurélie, encore : « Et puis, se prendre 135 euros d’amende chaque week-end, perdre un œil ou un bras, ça peut dissuader. »

Eux ne sont pas calmés. Ils sont présents, malgré les vives critiques. Mobilisés malgré les insultes. « Ça me fait mal quand j’entends des automobilistes crier qu’on est des fainéants, soupire Roland. J’ai travaillé quarante-trois ans… »

« Un long travail »

C’est un signe de leur détermination : à la Zac d’Augny, le camp maintes fois démonté ces derniers mois a été reconstruit en partie. « Nous ne sommes pas morts, prévient Xavier. Les ronds-points, c’est une chose. Mais il y a tout ce qui n’est pas visible. Une assemblée des Gilets jaunes s’est créée. On envoie nos délégués, ça discute. Ils reviennent avec des propositions. Si on n’est pas localement d’accord avec ça, on renvoie des contre-propositions, et ça rediscute. C’est intéressant comme démarche, mais cela demande du temps. C’est du long terme. On veut que nos idées soient portées par des élus. On va y arriver. » Ce n’est pas fini.

« Ces gens ont repris leur vie en main »

Il est monté deux fois à Paris, a manifesté à Metz. Patrick se définit « comme un Gilet jaune qui l’était avant même le début du mouvement. Dans l’esprit, ça faisait des années que j’y pensais. » Une idée anime le Jarnysien : la démocratie participative dont le bras armé pourrait être le référendum d’initiative citoyenne (RIC).

Après avoir beaucoup manifesté, il a pris un peu de recul ces derniers temps. « Pour réfléchir, et diffuser les idées. J’ai une vision plutôt politique de l’avenir. » Sans dénigrer la présence de terrain. « Au contraire. C’est très utile pour partager les propositions qui germent. Les gens extérieurs ne se rendent pas forcément compte, mais ça travaille énormément au sein de différentes assemblées locales. Il ne faut pas être trop pressé. »

Une façon de dire qu’il n’est pas déçu par l’évolution du mouvement. « Non, parce que je m’attendais à un essoufflement. Il y a eu beaucoup de répression… Les gens sur les ronds-points espéraient sans doute récupérer plus de choses. Ça peut fatiguer au bout de six ou sept mois. Je vois les choses différemment : les Gilets jaunes ont repris leur vie main en main à travers ce mouvement. Et ça, c’est énorme. C’est le début de quelque chose. »

Le Républicain Lorrain / Kévin Grethen