La situation du campement de Blida a relancé la question : pourquoi ne pas réquisitionner quelques-uns des 7 600 logements vides que compte Metz pour loger les gens qui dorment à la rue ? En réalité, ce n’est pas si simple.
Mardi, les services de la préfecture de Moselle et de la Ville ont procédé au démantèlement du campement de Blida. Les 600 demandeurs d’asile, principalement originaires des Balkans, ont été orientés vers des centres d’hébergement d’urgence et des Cada implantés dans différentes régions, dont la nôtre. Ces familles auront tout de même passé entre un à trois mois dans ce campement, quelle que soit la météo, avant d’être mises à l’abri.
Pour le Comité mosellan de lutte contre la misère, « c’est inacceptable ». Comme chaque fois qu’un nouveau camp de migrants se forme à Metz, les militants montent au créneau : « Quand des gens vivent dehors dans des situations d’hygiène atroces, ils doivent être logés. C’est facile : à Metz, il y a 7 600 logements vides dont plusieurs dizaines appartiennent à la Ville », lançait Eric Graff, porte-parole du comité, lors d’une manifestation organisée fin octobre à Metz. La loi, dans le code de la construction et de l’habitation, article L641-1, donne la possibilité au représentant de l’État de procéder à des réquisitions « des locaux à usage d’habitation vacants » pour « les personnes dépourvues de logement ou logées dans des conditions manifestement insuffisantes ». C’est donc possible. Pourquoi cela ne se fait pas à Metz ?
Un public différent
À Blois, le préfet a réquisitionné 15 logements dans le parc social le mois dernier pour des migrants de Calais ( lire par ailleurs ). Mais selon Alain Carton, secrétaire général de la préfecture de Moselle, « pour le cas de Blida, on est devant un besoin de structures d’hébergement d’urgence et non pas de logements. Tant que ces personnes sont demandeurs d’asile et ne sont pas reconnues comme réfugiées, elles n’ont pas droit au logement ». De fait, la plupart des migrants des Balkans ne devraient pas obtenir ce statut.
En attendant, durant trois mois, ils n’ont pas eu d’hébergement. « En juillet, on a déjà hébergé 350 personnes. Mais le campement de Blida s’est reconstitué », rappelle Alain Carton. En 2013 et 2014, « l’État a mobilisé son parc – les casernes de Ban-Saint-Martin, les anciens locaux de la DDE rue Périgot à Metz – pour héberger les demandeurs d’asile de Blida ». La Moselle compte 4 500 places de ce type financées par l’État et bénéficiant d’un accompagnement social. Manifestement pas assez pour absorber, dans l’urgence, l’afflux incessant de migrants.
Un choix politique
Alors ? Selon Me Antoine Paveau, deux conditions doivent être réunies pour engager une procédure de réquisition : « Une situation d’urgence et un risque de trouble à l’ordre public. C’était le cas à Blida. Dans la loi qui consacre le droit au logement opposable, il y a une obligation de résultat. » Si tous les autres moyens ont été épuisés, « le préfet peut réquisitionner des locaux vacants publics ou privés », explique l’avocat messin.
Pour la préfecture, « les logements publics vacants sont déjà tous utilisés » pour l’urgence sociale. Et il n’est manifestement pas question de toucher au parc privé. Le maire de Metz est également concerné puisqu’une « disposition du code des collectivités territoriales permet au maire d’agir si la défaillance du préfet est constatée » et prouvée.
Mais pour la Ville, « il n’est pas question de se substituer à l’État, on est dans un État de droit avec des valeurs qu’on défend », argue le service communication de la mairie. Il reste l’échelon du citoyen. En octobre, le Comité de lutte contre la misère a initié des procédures systématiques en saisissant le tribunal administratif de Strasbourg pour que la préfecture trouve des solutions de relogement immédiates. « Il faut individualiser toutes les demandes », note Me Paveau. Mais la préfecture préfère payer l’astreinte quand elle ne trouve pas de places que d’user de son droit de réquisition. Parce qu’elle touche au droit constitutionnel de la propriété, la réquisition demeure extrêmement rare en France. Il n’en reste pas moins qu’elle relève d’un choix politique.
7 600
L’Insee (2012) a dénombré 7 600 logements privés vacants à Metz sur la base des taxes foncières et d’habitation. Près de 1 400 sont situés dans l’hypercentre et plus d’un quart présente de très petites surfaces. Leur vacance a diverses origines : « Cela peut être un logement lié à un commerce, un appartement en cours de succession ou en attente de travaux », énumère Véronique Sandro, directrice de l’Agence départementale d’information sur le logement de la Moselle.
« Ce sont aussi des logements de personnes ou de sociétés immobilières qui spéculent. Qui préfèrent les laisser vides que de mal les louer », estime Eric Graff, le porte-parole du Comité de lutte contre la misère.
La Ville de Metz possède 45 logements vacants : 25 sont en cours de vente ou concernés par un projet de vente, 14 sont dédiés aux associations et 6 n’ont pas encore de destination.
Le parc social
Sur 512 000 logements en Moselle, 5 % sont vacants, essentiellement dans le parc privé. Dans le parc social, leur nombre s’élève à 1 400, dont 500 dans l’agglomération messine. Ces 500 appartements sont alimentés par les demandes de logement social, par les personnes prioritaires au titre du droit au logement opposable (Dalo). Les étrangers non communautaires doivent avoir au moins deux ans de résidence régulière ininterrompue pour prétendre à ce type de logement. Sont prioritaires : les femmes isolées et/ou avec enfants, celles en grande précarité ou qui sortent d’un centre d’hébergement d’urgence. Or, selon la préfecture, « la demande est supérieure à la vacance ». En d’autres termes, pas moyen de réquisitionner de logements. En tout cas, pas dans le parc social.
L’exemple de Blois
Les cas de réquisition de logements sont rares mais ils existent. Le mois dernier, le préfet de Loir-et-Cher a décidé de réquisitionner 15 logements du bailleur social Terre de Loire Habitat à Blois pour accueillir 60 migrants en provenance de Calais « dont la situation administrative au regard de l’asile n’est pas explicitée ». « Aucune autre solution n’avait pu être identifiée », le Centre d’accueil et d’orientation de Blois étant plein. Ces logements fraîchement libérés par les militaires « auraient été rapidement reloués », le bailleur social n’ayant que 0,20 % de vacance sur son parc. Après cette « mise à l’abri » temporaire, les migrants devraient être dirigés vers un centre d’hébergement d’urgence. Le préfet de Moselle rappelle que le département a logé les migrants de Calais dans des centres de vacances (Arry et Languimberg).
Céline Killé (Le Républicain Lorrain)