Jean-Marie Pelt : le «livre testament» sème le trouble

Fayard présente le dernier ouvrage de Jean-Marie Pelt comme «un livre testament». Des proches du botaniste protestent et dénoncent ses conditions de réalisation et d’édition.

Jean-Marie Pelt nous a quittés à la fin de l’année 2015, ce livre est en quelque sorte son livre testament.» Fayard, éditeur exclusif des ouvrages du botaniste, ne fait pas dans la demi-mesure, en dernière de couverture, pour lancer l’ouvrage sur la biodiversité cosigné par Jean-Marie Pelt et Franck Steffan. « Nous travaillons ensemble depuis 1992, nous avons écrit une vingtaine de livres », insiste ce dernier, face au procès en illégitimité instruit par l’entourage du scientifique dont l’immense œuvre littéraire, audio et audiovisuelle est au cœur d’une bataille de succession.

Dans la préface, Franck Steffan se pose en héritier en prenant le père de l’écologie urbaine à témoin : « Tu l’as souvent dit, j’étais ton fils spirituel, ton bras droit, ton collaborateur. » Et d’enfoncer le clou : « Du statut d’apprenti et de compagnon, tu m’as souhaité comme le frère que tu n’avais jamais eu. »

Compétences contestées

« Des lecteurs ont été choqués », s’étrangle un membre de l’entourage du défunt qui y voit une confiscation, une captation d’héritage intellectuel. Sauver l’homme et la nature , en kiosque depuis quelques jours seulement, a déjà derrière lui une histoire mouvementée, très éloignée de l’érosion dramatique de la biodiversité déclinée sur 230 pages.

L’histoire commence deux ans plus tôt. Jean-Marie Pelt et Pierre Rabhi, pionnier de l’agriculture écologique en France, signent chez Fayard Le monde a-t-il un sens? . L’ouvrage fait autorité. Il est un succès qui en appelle d’autres. Dans la foulée, les deux hommes se font la promesse d’un deuxième livre. Les mois suivants, le projet est contractualisé chez Fayard.

Un troisième nom, celui de Franck Steffan, figure sur le contrat. « Un mystère, car ce monsieur n’a pas compétence sur ces sujets », soupire Corinne Lepage, avocate, ex-ministre de l’Environnement, ex-candidate à l’élection présidentielle et amie de Jean-Marie Pelt. Ce dernier se met au travail, mais n’aura pas le temps de l’achever. Il décède le 23 décembre 2015. Sa disparition crée une vive émotion et les hommages pleuvent.

Rapidement, Pierre Rabhi se désiste. « Il ne voyait plus de raison de faire ce livre sans Jean-Marie », ajoute l’avocate. La version de Franck Steffan diverge : « Pierre Rabhi hésitait déjà avant le décès de Jean-Marie, il y avait un problème avec son éditeur. Nous avions pris ensemble la décision de le faire malgré tout. » Fayard, sollicité mardi sans succès, ne renonce pas à éditer le livre testament.

L’ouvrage sortira sous un autre nom, sur la base du manuscrit non achevé de Jean-Marie Pelt, complété par Franck Steffan. « Jean-Marie a écrit 180 pages, j’ai fait le reste », affirme le coauteur. Jacques Perrin a été approché pour signer la préface. Il a accepté. Puis refusé. Le Centre Jean-Marie Pelt, créé en 2010 pour défendre l’héritage du botaniste, a souhaité avoir accès au contrat d’édition que Fayard a refusé de transmettre.

« C’est un problème éthique plus que juridique, on ne connaît pas la part de Pelt dans ce livre, ni les termes du nouveau contrat », s’emporte Christophe Hissette, président du Centre. Aucune procédure n’a finalement été engagée pour bloquer la sortie de l’ouvrage. Corinne Lepage n’a pas été mandatée pour le faire. « De toute façon , estime-t-elle, Jean-Marie ne l’aurait pas souhaité, il n’était pas procédurier. »

Pierre Roeder (Le Républicain lorrain)