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[Frontaliers] Le Léman Express fait des envieux en Lorraine


Le Léman express, inauguré mi-décembre entre Genève et la Haute-Savoie, a offert une image en noir et blanc de la mobilité transfrontalière sur le versant luxembourgeois (Photo : AFP).

La mise en place d’un train express entre Genève et le bassin frontalier français fait des envieux en Lorraine. Plusieurs élus locaux réclament un moyen de transport similaire avec le Luxembourg.

Un bassin de vie transfrontalier d’un million d’habitants relié par 230 kilomètres de rail : c’est la promesse du Léman Express, le train rapide entre Genève et le bassin français (90 000 frontaliers), inauguré mi-décembre.

En Meurthe-et-Moselle, le sujet s’est invité lors du dernier conseil départemental de l’année. Le chef de l’opposition, Luc Binsinger (centre et droite), par ailleurs maire de Saint-Nicolas de Port (environ de Nancy), a fustigé un rapport de la majorité en faveur d’un fond de codéveloppement et des rétrocessions financières avec le Luxembourg. Il a argué qu’il fallait avancer sur du « concret », en citant l’exemple du Léman Express. Il souhaite relier l’ensemble de la ligne Nancy-Luxembourg -et pas que le tronçon mosellan- sur un rythme rapide, évoquant la possibilité de pointe à 200 km/h avec le matériel des prochaines années.

 

Le maire de Thionville Pierre Cuny souhaite également un « RER transfrontalier ». Il en a fait un axe de sa campagne municipale, souhaitant réunir tous les acteurs autour de la table, tels que la région Grand-Est, la SNCF et le Luxembourg : un maire n’a effectivement aucun levier d’action sur de tels aménagements supra-communaux, si ce n’est le pouvoir d’interpeller les échelons supérieurs.

À Metz, le candidat Xavier Bouvet (gauche et vert), estimait dès le mois de novembre qu’il faut « doubler les voies de train sur la ligne Metz-Luxembourg », pour en laisser une dédiée au fret et l’autre aux voyageurs.

D’autres évoquent toujours la solution d’un monorail. Le candidat à la mairie de Metz et ancien maire de Woippy François Grosdidier (droite) s’est prononcé début décembre en faveur de cette infrastructure dont François Bausch ne veut pas. Le maire de Terville, Patrick Luxembourger (droite), avait également poussé en faveur d’un monorail, étude à la clef. Le dossier semble mis en stand-by. Mais l’élu n’en perd pas son humour : en témoigne la carte de vœux assez détonante qu’il a envoyée pour 2020 !

(Illustration : mairie de Terville).

(Illustration : mairie de Terville).

Urgence d’un côté, intérêt limité de l’autre

C’est peu dire qu’il existe une certaine urgence du côté lorrain. Puisque les aménagements proposés d’ici 2030 (240 millions d’euros de co-investissements sur la ligne de train du Sillon Lorrain) suffiront à peine à absorber le nouveau flux de frontaliers prévus d’ici cette date : de 106 000 en décembre 2019, les frontaliers français devraient être 153 000 en 2035, selon les chiffres de l’Agape Lorraine Nord, dans une fourchette que l’on peut considérer comme basse…

En l’état des choses, tous ces plans pour accélérer sur la mobilité semblent de toute façon vains : le Luxembourg ne montre pas une réelle volonté d’être mieux relié à ses bassins frontaliers. La mobilité transfrontalière n’a d’ailleurs quasiment pas occupé les débats sur le budget record de l’état pour 2020, qualifié de « budget du bien être ». Que ce soit avec la Belgique (pas de liaison prévue avec la voie de covoiturage vers Arlon) ou la France, l’idée de regarder au-delà des frontières reste une préoccupation de second rang. Le futur tram Belval-Luxembourg ville est ainsi prévu pour s’arrêter à la frontière. L’A31 bis n’est pas un sujet de cofinancement pour le Luxembourg, qui en profite pourtant pleinement avec sa plateforme de logistique positionnée à la frontière à Bettembourg (où le fret ferroviaire n’est qu’une partie de l’iceberg). Et même sur d’autres types de mobilité, le paquet est surtout mis pour désengorger le pays -où la circulation est aussi infernale qu’à la frontière- comme pour la future autoroute cyclable Belval-Luxembourg, où rien n’a été dit quant aux moyens de relier le bassin français. La volonté principale est de voir les frontaliers (47% des actifs du pays) se stationner dans des P+R en « grande couronne » pour bénéficier d’un réseau de transport moderne (ou en cours de modernisation) intra-muro.

Et si tout allait plus vite un jour ?

Si une volonté se dégageait réellement pour améliorer la mobilité un jour, une dernière question resterait à résoudre. Et en cela, l’intervention de Luc Binsinger, quoique bien structurée, est emblématique d’une contradiction des élus lorrains sur les volontés de « co-développement » : pourquoi organiser une fluidité toujours plus grande vers le Luxembourg, alors que la difficulté pour retenir les actifs et les entreprises sur le versant lorrain est un vrai problème ? Le tout, dans un contexte démographique qui s’annonce tendu ces prochaines années (déclin notoire en Lorraine et surtout en Sarre).

La baisse de la fiscalité sur les entreprises en France, voulue par Emmanuel Macron, n’aura qu’un impact limité à la frontière, le Luxembourg comptant encore baisser les impôts sur les entreprises (future réforme Gramegna), et l’attractivité luxembourgeoise se basant de toute façon sur d’autres critères pour les PME : prise en charge d’une part des cotisations sociales par l’état (alors qu’elles se répartissent entre employeurs et employés en France), avantages colossaux consentis aux salariés (retraite, allocations familiales, congé parental de six mois etc.), indexation régulière des salaires.

Dans son intervention au conseil meurthe-et-mosellan, Luc Binsinger évoque alors la volonté de dispositifs fiscaux dérogatoires, tel un « mécanisme européen transfrontalier pilote » pour le Nord Lorrain. Là encore, on peut émettre des doutes sur l’impact d’un tel mécanisme : la France a t-elle intérêt à mettre en concurrence des pôles tels que Metz et Nancy (donc Paris à 1h20 de TGV et Strasbourg à 50mn), avec une « frontière fiscale » luxembourgeoise déportée à leur lisière ? Objectivement non. À moins de verser dans une mesurette cantonnée à quelques hectares de zones franches sur le Pays-Haut, qui n’aurait alors qu’un impact limité, loin des enjeux d’un meilleur équilibre dans un bassin de vie transfrontalier de plus d’un million d’habitants (l’aire économique du Grand-Luxembourg, selon les calculs de la fondation Idea). Une sorte d’extension du territoire économique luxembourgeois pour y mettre de la logistique ou des entreprises trop gourmandes en énergie qui défrayent tant la chronique ici (cf Yaourt-gate à Bettembourg) ?

On pourrait toutefois se dire que la France aurait un intérêt à laisser filer ses actifs au Luxembourg, s’il existait un partage de la richesse créée à plusieurs bras, comme avec la Suisse. En gros, que l’actif travaille d’un côté de la frontière ou de l’autre, les deux états touchent a minima des rentrées d’impôts pour alimenter leurs caisses, donc c’est win-win. Mais cette approche de compensations financières est également écartée par le Luxembourg, que ce soit sur le modèle genevois et a fortiori sur le modèle franco-allemand (lire dans le détail de cet article pour comprendre les différents systèmes). Approche également reniée par certains élus lorrains, de façon plus surprenante, alors que leurs territoires doivent accueillir toujours plus d’actifs avec des recettes fiscales locales moribondes : le levier d’impôt sur les entreprises étant notamment inopérant… les entreprises s’installant globalement de l’autre côté de la frontière.

Bref, le dossier reste très épineux, et à n’en pas douter, le sera tout autant en 2020.

Hubert Gamelon

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