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Dépanneurs sur l’A31 : la peur aux trousses


« Il ne faut pas chercher à comprendre l’origine de la panne mais charger, rapidement, le véhicule. » (Photo RL /Pierre Heckler)

Sur leurs épaules reposent, chaque jour ou presque, les grandes espérances des automobilistes qui empruntent l’A31. Les dépanneurs qui mettent, quotidiennement, leur vie en danger pour fluidifier un trafic autoroutier engorgé par les accidents. La peur aux trousses, ils témoignent.

« C’est dangereux… Beaucoup trop dangereux. » Dépanneur à Thionville depuis 1993, Erol Can ne regrette pas d’avoir fait marche arrière. Son expérience en milieu autoroutier n’a pas excédé les six mois : « Et encore, peut-être même moins » Le professionnel a rapidement eu la conviction de faire fausse-route. Une image lui revient en tête. L’obsède, même. « Lorsqu’en intervention, les semi-remorques passent à côté de vous. Le tourbillon du vent qui vous aspire… C’est très risqué, même sur la bande d’arrêt d’urgence »

« Mon père dormait dans une remorque »

« Ce que je dis à mes gars ? De ne pas chercher à comprendre l’origine de la panne mais de charger, rapidement, le véhicule. Sur l’autoroute, le temps est compté. Ne parle-t-on pas de vingt minutes d’espérance de vie ? » Pour Jérôme Lanigra, 35 ans, l’autoroute ne constitue pas un marché comme les autres. Fils du fondateur de la société thionvilloise Philippe Dépannage, il entretient un lien étroit, affectif avec ce long corridor ouvert aux automobilistes en 1966 : « Dans les années 70, mon père dormait dans une remorque sur l’A31. Pourquoi ? Pour arriver le premier sur les accidents. À l’époque, l’activité n’était pas aussi réglementée. »

Désormais, elle repose sur un cycle d’appels d’offres valable cinq années pour les véhicules légers et sept ans pour les poids lourds. Le champ d’action de sa société va de la frontière luxembourgeoise à Yutz et de Yutz à Talange pour les voitures et motos ; concernant le remorquage de camions, la préfecture lui a octroyé le tronçon « frontière-Yutz ». Soit la zone la plus fréquentée, et donc accidentogène, de l’A31.

« Je ne sors plus côté route »

Selon le dernier bilan d’activité transmis en préfecture, sa société a réalisé 686 interventions en 2018 : « Dans le lot, on dénombre trois accidents mortels. C’est, hélas, notre moyenne annuelle… » Le dernier en date, l’an passé, assombrit son humeur : « Un motard, mort sous un camion. Il avait un passager arrière, son fils. À mon arrivée, je pensais que le corps avait déjà été évacué… » Il ne l’était pas.

« C’est simple, je ne sors plus côté route. » Ses employés se soumettent à ce même régime de prudence. Si à ce jour, aucun salarié de Philippe Dépannage n’a été percuté, en revanche l’un d’entre eux a vécu un épisode traumatisant : « Un agent de la DIR Est , projeté en pleine intervention par un chauffard qui circulait sur la bande d’arrêt d’urgence pour contourner un bouchon. Il était en plus sur son téléphone. »

Aux yeux de Jérôme, le voilà le plus grand danger de ces dernières années : le portable, arme de distraction massive utilisée par un nombre grandissant d’usagers de l’A31 : « Déjà, ils troublent leur attention, c’est évident. Mais en plus, ils accentuent les ralentissements en cas d’accident. Les automobilistes les sortent à chaque carton, pour prendre des photos, des vidéos. C’est… » Dangereux, principalement. Et, accessoirement, du voyeurisme : « Nous n’avons pas besoin de ça… Notre métier est déjà suffisamment à risques. »

Jean-Michel Cavalli (Le Républicain Lorrain)