Sous la campagne vosgienne, des tuyaux au secours de l’Europe : près de Vittel, dans l’est de la France, la station de compression de Morelmaison aspire le gaz qui arrive de Norvège, du Qatar ou des États-Unis pour le pousser vers l’Europe et en particulier l’Allemagne alors qu’un hiver presque sans gaz russe commence.
Au cœur d’un paysage bucolique, ce site industriel assure une mission discrète mais essentielle pour acheminer du gaz en Europe, en particulier en Allemagne, qui dépendait à 55 % de la Russie avant la guerre en Ukraine. En surface, des vannes et des tuyaux, mais peu d’activité spectaculaire sur ce site piloté à distance, où seules quatre personnes travaillent.
La station de Morelmaison n’est pas moins stratégique : elle assure l’interconnexion entre un gazoduc qui ramène du gaz, notamment norvégien, depuis Dunkerque au nord, un autre en direction de la Suisse, un gazoduc qui historiquement ramenait du nord-est le gaz russe en provenance de l’Allemagne vers le sud de la France.
Il existe 26 stations de compressions de gaz comme celles de Morelmaison réparties en France sur le réseau de 32 527 km de canalisations géré par le gestionnaire français du transport de gaz GRTgaz.
Elles permettent d’interconnecter les artères qui arrivent et partent de la station par un jeu de vannes, mais aussi grâce à des turbines de relever la pression de gaz pour compenser les déperditions occasionnées lors du transport. « Relever la pression permet de pousser le gaz dans les canalisations », résume Guillaume Steschenko, adjoint du responsable du département compression à GRTgaz.
« Les flux de gaz qui passent par la station alimentent l’Allemagne, la Suisse et la Belgique, et donc permettent (…) de faire preuve de solidarité de manière très concrète et de compenser la baisse de flux en provenance de Russie », souligne Guillaume Tuffigo, responsable du pôle marketing chez GRTgaz.
Porte d’entrée du gaz
Avec le tarissement du gaz russe dans les pipes, l’Europe a dû diversifier ses approvisionnements, en recourant au gaz naturel norvégien et au gaz naturel liquéfié du Qatar et des États-Unis, qui arrive par navires dans quatre terminaux méthaniers français tournant à plein régime.
Longtemps vue par les gaziers comme le « cul-de-sac » du gaz russe, la France est paradoxalement devenue l’une des portes d’entrée du gaz en Europe depuis que le gaz de Moscou n’arrive plus, ou presque.
Une idée « encore impensable il y a deux ans », admet Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz. « On ne voyait pas trop de raisons de penser que ce flux Est-Ouest puisse être remis en question », ajoute-t-il. Dans le milieu gazier, ne disait-on pas que « le gaz russe a continué à arriver pendant toute la guerre froide »?
Historiquement, le gaz arrivait en France via l’Allemagne et la Belgique pour être consommé sur le territoire ou réacheminé vers l’Espagne et la Suisse. Mais depuis la guerre, les autoroutes du gaz et le sens des tuyaux sont inversés. Concrètement, la France reçoit du gaz d’Espagne et « désormais, les flux vont de la France vers la Belgique et l’Allemagne », explique Guillaume Tuffigo.
La France via le réseau de GRTgaz a multiplié par 7 les transports de gaz vers la Suisse en 2022 par rapport à 2021. Dans le même temps, GRTgaz a reçu 70 % de gaz en moins depuis l’Allemagne en 2022 comparé à 2021 (52 térawattheures en 2021 et 14 TWh seulement en 2022).
Symbole de cette inversion historique, la France envoie directement du gaz à son voisin allemand depuis le 13 octobre, en vertu d’un accord d’entraide entre les deux pays. Au 22 novembre, ce sont 2,7 TWh de gaz – l’équivalent de ce que fourniraient trois réacteurs nucléaires – qui ont été envoyés à l’Allemagne via le poste frontière de gaz d’Obergailbach (Moselle), un site interdit à la visite, lui-même connecté à Morelmaison. La France met à disposition une capacité de transport de 100 GWh/jour, le maximum possible techniquement à ce stade.
Pour l’instant, l’Europe dont les stocks sont pleins (à 93 % ce mercredi) se passe des gazoducs russes, mais pour combien de temps ? « En attendant de nouvelles capacités de production de gaz liquéfié, ce sera encore délicat pendant cinq ans », prédit Thierry Trouvé.