Un an après l’attentat contre Charlie Hebdo, le délit de blasphème existe toujours en Alsace-Moselle, mais sa validité même fait débat : si certains juristes demandent à la Justice de trancher, d’autres jugent la démarche inutile.
Hérité du code pénal allemand, l’article 166 du droit local en vigueur dans les trois départements revenus à la France en 1918 stipule que « celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement Dieu par des propos outrageants ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie » est passible de trois ans de prison.
Personne n’a été condamné pour blasphème en France en vertu de cette disposition depuis 1919. Mais « tant qu’elle est inscrite dans le code, rien n’empêche des intégristes de tout poil de saisir la justice », accuse Michel Seelig, spécialiste lorrain du droit local, martelant que même tombé en désuétude, le texte existe tant qu’il n’a pas été officiellement abrogé. Une abrogation demandée à maintes reprises ces derniers mois.
Le 6 janvier 2015, la veille -par un triste hasard- des attentats sanglants contre Charlie Hebdo, les représentants catholiques, juifs et musulmans et protestants en Alsace-Moselle demandaient que le texte soit officiellement abrogé. Dès le 17 janvier, le sénateur Les Républicains de Moselle François Grosdidier annonçait le dépôt d’une proposition de loi en ce sens. Pour l’heure, elle est encore sur liste d’attente au Sénat. En mai, l’Observatoire de la laïcité, instance rattachée à Matignon, préconisait à son tour d’abroger le délit de blasphème. En juin, c’est le député du Puy-de-Dôme André Chassaigne (Front de Gauche), qui interpellait le gouvernement sur le « problème posé par le délit de blasphème toujours en vigueur dans le droit local d’Alsace-Moselle ».
« Implicitement abrogé »
Mais pour le ministère de la Justice, dont la réponse est parue fin décembre, cette disposition du droit local doit « être regardée comme implicitement abrogée ». Pour justifier sa position, le ministère se fonde sur le fait que l’article en question n’a pas été officiellement traduit en français, en renvoyant à une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée sur le droit local en 2012.
Saisi sur la validité d’un autre article, uniquement rédigé dans la langue de Goethe, le Conseil constitutionnel écrivait alors que « l’absence de version officielle en langue française d’une disposition législative est contraire à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité de la loi », et enjoignait le législateur à s’emparer de la question. Chose faite depuis un décret d’août 2013 : les textes uniquement en allemand ont été traduits en français et publiés. Sauf l’article 166, le délit de blasphème. C’est ainsi que le ministère de la Justice peut aujourd’hui parler de texte « implicitement abrogé ».