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Tout en nuances

Pour le ministre des Finances, Pierre Gramegna, la publication des LuxLeaks, en 2014, constitue l’une des pires attaques auxquelles le pays a fait face dans son histoire. Rien de moins. Tout aussi adepte de la nuance, le juge d’instruction ayant enquêté sur la divulgation des très avantageux accords fiscaux signés entre des multinationales et le gouvernement (tax rulings) a indistinctement inculpé deux employés de PWC, dont Antoine Deltour, à l’origine des fuites, et le journaliste français Édouard Perrin qui le premier a révélé l’ampleur du scandale sur France 2. Ces poursuites contre des lanceurs d’alerte et un journaliste ont valu au Luxembourg de dégringoler dans le classement 2015 de la liberté de la presse établi par RSF, passant de la quatrième à la dix-neuvième place. Pour le «nation branding», nouvelle vache sacrée du gouvernement, c’est loupé.

Le procès qui s’ouvrira contre les trois inculpés le 26 avril n’arrangera rien, tant il fait des vagues au-delà des frontières du Grand-Duché. Des dizaines d’associations de journalistes en Europe, des ONG et l’OSCE condamnent la démarche de la justice luxembourgeoise, perçue comme une menace contre le droit d’informer, l’un des piliers de nos démocraties.

Depuis vendredi, Édouard Perrin et Antoine Deltour trouvent aussi l’appui d’un comité de soutien au Luxembourg. Constitué autour de personnalités du monde politique, syndical et de la société civile, il compte aussi nombre de journalistes dans ses rangs. Pour Antoine Deltour, ils considèrent que «l’intérêt général de sa démarche prédomine largement les infractions commises» et jugent les poursuites engagées contre Édouard Perrin «à l’encontre des principes basiques de la liberté de la presse». L’enjeu est de premier ordre quand le gouvernement verrouille de plus en plus l’accès aux informations administratives, confiées à des communicants s’employant à gommer la moindre aspérité. L’enjeu est de taille à la vue de la puissante contre-attaque étatique lancée contre Deltour et Perrin au nom du secret des affaires, quand bien même ces affaires revêtent le caractère d’une vaste fraude et servent exclusivement des intérêts particuliers.

L’issue du procès LuxLeaks est primordiale : pour les journalistes qui font leur travail, pour les lanceurs d’alerte qui font leur devoir de citoyen et pour le public s’il veut continuer à disposer d’une information libre.

Fabien Grasser (fgrasser@lequotidien.lu)