Fallait-il passer du Johnny dans le métro de Bruxelles ? Fallait-il entendre les tubes de la star française en boucle sur les radios des Trois Frontières ? Fallait-il que Jean-Claude Juncker rende hommage à Johnny Hallyday comme à un homme d’État ? Et qu’on change le nom d’une station du métro parisien ? On ne sait pas, toujours est-il que ça a eu lieu. C’est un fait, la disparition de « l’Elvis français » a suscité une émotion considérable.
Qu’est-ce qui est si touchant au fond ? Johnny, peu importe la considération que l’on a pour sa musique, a su s’adresser aux gens comme personne. Ce n’est pas condescendant de dire cela, c’est un talent merveilleux. «Dans tous les bars de France il y a cette grande gueule qui s’est fait plus ou moins la tête de Johnny et que ses copains appellent Jojo, écrit dans Libération l’auteur Silvain Gire. C’était lui, dans l’annonce de cette mort, qui me touchait.» Tout est dit ou presque. D’abord, parce qu’on est toujours le «Jojo» d’un autre. Telle personne croit avoir des goûts très sûrs, elle est en réalité le beauf d’un autre. Les plus beaufs d’entre tous, c’est bien connu, étant ceux qui en voient partout… Intolérable intolérance.
Et puis, toutes les émotions sont belles à vivre. On peut vibrer pour un but de Messi comme pour la Marche turque de Mozart. On peut tomber de faiblesse devant la beauté d’un passage de Camus, comme devant la rime brutale d’un rappeur. Tout ne se vaut pas. Tout mérite d’être vécu. «Peu importe de mal étreindre si je peux tout embrasser», écrivait justement Albert Camus.
Johnny avait fendu la foule, un soir de juin 1993. C’était à Paris au Parc des Princes, avec une arrivée fracassante depuis la fosse du stade. Un défi dangereux, tant la star s’était fait arracher les vêtements par les fans, enlacée jusqu’à l’étouffement. Johnny a tout embrassé, fascinante bête de scène qui ne s’appartenait plus, boîte à chansons de plus de 500 paroliers. Il appartenait à Jojo, Jean-Claude (Juncker), Françoise (Nyssen, la ministre française de la Culture), Michel et qui vous voudrez…
Hubert Gamelon