Accueil | Editoriaux | Peau de chagrin

Peau de chagrin

D’abord Orpea et ses filiales, maintenant Korian. Combien d’autres encore. Chaque jour apporte son lot de révélations sur la gestion des Ehpad français. Elles font froid dans le dos, ces révélations brûlantes. De quoi être émus aux larmes, citoyens. Les autorités font mine de découvrir l’ampleur du phénomène. Depuis des années pourtant, les faits de maltraitance sur personnes âgées noircissent les rubriques de faits divers. Des incidents isolés, avait-on pris la mauvaise habitude d’écrire. Mais quand les cas se répètent d’un établissement à l’autre, c’est de la violence systémique. La crise sanitaire a déjà jeté une lumière crue sur les défaillances et négligences qui ont privé nos aînés de l’égard et l’empathie dont nous leur sommes redevables. À juste titre, le livre-enquête Les Fossoyeurs décrit les méthodes de ces entreprises mortifères qui poussent les plus vulnérables dans la tombe. Et même les plus vaillants. Misérable course au profit qui place la valeur marchande avant les valeurs humaines.

Revenons à nos moutons. À nos vieux, parqués comme du bétail dans ce qui ressemble parfois à des porcheries. Quiconque a déjà arpenté les couloirs d’une maison de retraite a forcément été envahi par ce sentiment oppressant de déambuler dans un mouroir. Croisant de frêles silhouettes, abandonnées à leur triste sort. Les relents d’urine qui montent au nez. Celui des pensionnaires ne respire pas souvent l’air frais, cloîtrés la plupart du temps dans leur cage. Emprisonnés, même, lors des périodes de confinement. Quand d’aucuns attestaient sur l’honneur être amis des bêtes pour s’autoriser des sorties à loisir. Bref, revenons encore à nos moutons et à nos vieux dans leurs enclos. À 2 500 euros par mois au bas mot, ça fait quand même cher le plateau garni d’une bouillie infâme, le pain si dur à y laisser une dent et le yaourt aux arômes artificiels.

Le Luxembourg ferait bien de s’inquiéter davantage de l’arrivée d’Orpea sur son sol. Une résidence doit en effet ouvrir à Merl en mars. Les gouvernements sont prompts à apporter tout le soin nécessaire à la petite enfance, et c’est heureux, mais réduisent les moyens pour le grand âge à peau de chagrin. Et c’est intolérable.

Alexandra Parachini