Accueil | Editoriaux | Monstres à visage humain

Monstres à visage humain

Faut-il publier les noms et les images des terroristes, au risque de glorifier leurs actes et de leur offrir, morts, une célébrité qu’ils n’ont pas eue, vivants? Le Monde, en France, a décidé de ne plus montrer les visages de la haine, suivi par BFMTV et d’autres. Libération, au contraire, mais aussi Le Parisien, insistent sur la nécessité de ne pas se censurer, au nom du droit à l’information.

Un débat qui porte avant tout sur la responsabilité des journalistes dans leurs choix éditoriaux. Car il est toujours possible de réfléchir au «choc des photos». L’État islamique est passé maître dans l’art de la propagande. Sur les réseaux, il répand son message de haine et communique avec force images et vidéos de ses «héros», sa chair à canon bon marché.

Croire que la non-publication des photos des assassins mettra fin aux crimes est une douce illusion. Si l’homme existe au travers du regard des autres, selon Sartre, pour les assassins, c’est au travers de leurs crimes. Et quand quelques médias triés sur le volet choisissent de ne plus personnifier l’horreur, ils ne montrent plus que le mal a parfois le visage innocent de l’enfance. L’utilisation maîtrisée des images est une information, nécessairement.

Offrir l’anonymat aux terroristes, c’est aussi faire le jeu des complotistes, qui vont jusqu’à mettre en doute l’existence des attentats. Les photos à la gloire des martyrs, fanfaronnant avant de passer à l’acte, n’ont que peu de sens. Mais identifier les tueurs, c’est aussi respecter les victimes, et leurs familles, qui ont parfois besoin de (sa)voir pour faire leur deuil.

On se souvient de Paris Match qui avait publié, en janvier 2015, la photo des corps des frères Kouachi, les auteurs de l’attaque de Charlie Hebdo. «Un document pour l’histoire», avait justifié l’hebdomadaire.

Ce qui est certain, c’est que les médias doivent peser, au cas par cas, le poids de ces informations. Si une photo ou un nom a une valeur pour les lecteurs ou les spectateurs, il est inenvisageable de les en priver a priori. Car les monstres sont aussi des hommes, il ne faut pas l’oublier.

Christophe Chohin (cchohin@lequotidien.lu)