Il y a 15 ans, j’ai emménagé dans un petit village en plein centre de la capitale, caché au creux de la vallée de l’Alzette et préservé du monde extérieur par une mauvaise réputation forgée au fil des siècles et des changements sociétaux. «Comment, tu vas vivre au Pfaffenthal?», me disaient alors mes amis luxembourgeois avec dédain. À l’époque, acquérir un logement à un prix raisonnable à Luxembourg était encore possible sans forcément avoir, comme moi, le goût du pittoresque et la curiosité des anticonformistes. Aujourd’hui, les prix ont explosé et, nombre croissant d’expatriés oblige, l’offre peine à rattraper la demande. Même dans notre enclave du Pfaffenthal qui se gentrifie de plus en plus depuis qu’elle est desservie par des lignes de bus régulières, qu’elle est reliée au Kirchberg et au monde par une gare et qu’un ascenseur la relie à la Ville-Haute, venant abolir la fameuse montée qui en décourageait plus d’un à s’aventurer dans nos ruelles. Quant à la réputation, elle ne fait plus peur à personne. Les natifs du cru quittent le quartier entre quatre planches ou avec un compte en banque bien garni après avoir revendu leur maison tricentenaire. Les nouveaux arrivants n’ont pas le temps de s’intéresser à la petite histoire.
À l’image de mon quartier, l’ensemble de la ville change et au-delà, l’ensemble du pays. Des quartiers poussent dans les champs, des propriétés sont rasées pour construire des immeubles à appartements pas toujours réussis – avouons-le –, chaque centimètre de terrain libre et non protégé est réquisitionné par des promoteurs, sans compter les logements laissés vides par des investisseurs exotiques (mais ça, c’est une autre histoire). Les communes se démènent pour parvenir à loger tous leurs administrés et pas uniquement ceux qui ont les moyens de ne pas devoir s’expatrier ou déménager au-dessus d’Insenborn. Jusqu’où cette frénésie de logements va-t-elle aller? Faut-il opter pour la décroissance afin que se loger redevienne facile et ne constitue pas près de la moitié d’un bas salaire? Faut-il revenir 20 ou 30 ans en arrière et renier le progrès? Est-ce le prix à payer pour éviter le déclin économique d’un petit pays qui a toujours su se relever après les crises?2122
Sophie Kieffer