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L’étrange cas du Dr Mergen

Samedi dernier, on annonçait la découverte, à l’université de Strasbourg, des restes de 86 victimes de l’anatomiste nazi August Hirt. Fervent collectionneur de crânes, ses élucubrations funestes avaient porté August Hirt à imaginer une «collection de squelettes juifs»… Or si sa folie meurtrière est établie, elle opérait sous le couvert de la science, devenue, au XIXe siècle médical, un moyen de poursuivre l’histoire des exclusions, voire de l’accomplir.

Armand Mergen n’a fait de mal à personne. Du moins, est-ce là ce qu’il voudrait que nous retenions de ses années tyroliennes. Né en 1919 à Heffingen, près de Mersch, «Toto» Mergen a 22 ans, lorsqu’en 1941 il devient l’assistant de Friedrich Stumpfl à l’Institut de biologie héréditaire et des races d’Innsbruck. Jusque-là, Friedrich Stumpfl avait été chargé en Bavière de la sélection des «non sédentaires» à destination des camps de concentration.

Dans le Tyrol, épaulé de son assistant luxembourgeois, il se lança dans des études eugéniques portant sur les Yéniches tyroliens, les «Karner», qualifiés d’«asociaux». Le dada d’Armand Mergen cependant, c’était la «criminalité des malades mentaux», auquel il consacrera sa thèse de doctorat en 1942 – en plein milieu du programme d’euthanasie, comme le relève le journaliste Ernst Klee dans son Lexique des personnalités du 3e Reich.

Lorsqu’en 1946, Friedrich Stumpfl et Armand Mergen passent à l’interrogatoire, ils se présentent en sauveurs des Karners, expliquant avoir consciemment édulcoré le résultat de leurs recherches pour épargner aux Karners le sort des Roms et Sinté, déportés. Or ceux parmi les Yéniches qui ne disparurent pas dans les camps, furent forcés à la sédentarité, logés dans des baraques comme celle de Reichenau et parfois même, stérilisés.

À partir des années 50, Armand Mergen devint un des pères fondateurs de la criminologie en Allemagne. Son influence depuis n’a cessé de grandir. Dans les années 70, il s’engage pour la dédiabolisation de l’homosexualité et lutte pour l’abolition de la peine de mort. Le destin des Karners reste, lui, très peu étudié.

Frédéric Braun