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Légal ou pas ? Là est la question

Légal mais pas moral : depuis deux ans, même les plus farouches adversaires des paradis fiscaux récitent en boucle cette affirmation sur les LuxLeaks. La légalité des milliers de rulings accordés à des multinationales a été édictée en novembre 2014 par le gouvernement et PWC, la société d’où ont fuité les documents. Mais à vrai dire, depuis ce jour où le scandale a éclaté, personne au Grand-Duché n’a vérifié l’exactitude de cette assertion. Pour les prévenus du procès LuxLeaks, la question n’est pas anodine, car s’il est une chose d’être condamné pour avoir dénoncé des pratiques immorales mais légales, c’en est une autre d’être condamné si les rulings tels qu’ils étaient conclus étaient illégaux.

Omri Marian, un universitaire américain, s’est collé à la tâche et a analysé au hasard 172 rulings sur les 538 rendus publics. Ses conclusions sont sans appel : dans la moitié des cas, PWC, mandaté par les multinationales, ne fournissait pas à l’administration les informations permettant d’évaluer la légalité des rescrits fiscaux. Le chercheur relève aussi que le fisc a ignoré les règles luxembourgeoises en matière de sous-capitalisation, plus de 80% des rulings ayant été accordés à des entreprises dont le ratio d’endettement dépassait la norme admise. Au-delà de cette étude, des pays comme l’Allemagne, l’Italie ou la France infligent de colossaux redressements fiscaux à des multinationales épinglées par LuxLeaks. Comment expliquer ces poursuites si, comme le proclame le ministre des Finances, Pierre Gramegna, tout est conforme au droit européen?

Et puis, il y a Marius Kohl, le préposé du fisc, désormais en pension, qui régnait en maître sur les rulings. Dispensé pour raisons médicales de témoigner en première instance, il s’est encore fait porter pâle pour l’appel, alors que les avocats de Raphaël Halet et Édouard Perrin estiment son témoignage impérieux. Et Marius Kohl aurait bien des choses à dire, comme en 2014 quand il a reconnu que son évaluation de la régularité des rulings était très hasardeuse. Mais aucune autorité du pays n’a jamais voulu l’entendre. Plutôt curieux alors qu’il fut un acteur majeur de «l’industrie» des rulings échafaudée par le pays depuis 25 ans.

Ces faits ne constituent pas une preuve ultime d’illégalité, mais ils sont autant d’éléments alimentant le doute et devraient, compte tenu de l’ampleur du scandale, mener à l’ouverture d’une enquête judiciaire. Il n’en est rien et tout se passe comme si les principaux protagonistes de cette affaire, politiques, agents du fisc et PWC, étaient d’emblée hors de soupçon. C’est faire peu de cas de l’État de droit et injuste pour les prévenus qui comparaissent aujourd’hui devant la Cour d’appel.

Fabien Grasser