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Le moral dans les pantoufles

Pourquoi les très hauts fonctionnaires européens ont-ils de très hauts salaires? (16 000 euros mensuel en moyenne à la Commission européenne, mais le cachet peut monter à plus de 30 000 euros) Parce qu’ils ont de très hautes responsabilités?

Oui, mais pas seulement, nous répondait un jour un eurocrate : «Parce que c’est aussi dans l’intérêt de tous, un haut salaire étant aussi un moyen de limiter les tentations.» Comprenez les tentations de céder à un énième démarcheur de ces grosses sociétés qui font du porte-à-porte à Bruxelles, avec leurs encombrantes valises. Ou encore les tentations d’aller paître là où l’herbe est plus grasse, comprenez ces mêmes grosses sociétés.

L’argument semble fondé : à défaut d’éthique, on imagine que certains hauts fonctionnaires seront au moins sensibles à une motivation plus lucrative. Hélas. Le départ de José Manuel Barroso pour la banque Goldman Sachs est venu nous rappeler que si l’Europe veut préserver ses troupes du pantouflage (l’art pour un fonctionnaire d’aller vendre chèrement sa peau dans le privé), il va falloir leur offrir (beaucoup) mieux.

Alors qu’il gagnait près de 320 000 euros en 2014, sa dernière année à la présidence de la Commission, le Portugais n’a pas trouvé meilleure façon de prouver sa reconnaissance et sa foi dans le projet européen qu’en rejoignant la banque américaine qui porte, entre autres médailles, celles de la crise de 2007 et de l’asphyxie de la Grèce. Un syndrome de Stockholm serait encore trop flatteur pour justifier cette trahison.

Le problème, c’est que beaucoup trop de fonctionnaires font aussi des infidélités, voire pratiquent cet «UExit». Selon le Corporate Europe Observatory, un tiers des commissaires de la Commission «Barroso II», dont le mandat s’est achevé en 2014, ont depuis accepté une fonction dans de grandes entreprises, ajoutant dans leur dressing, à côté de leurs ternes sandales bleus à étoiles jaunes, les pantoufles dorées de multinationales, fonds spéculatifs ou banques. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Tout cela ne serait jamais arrivé si l’Europe avait été à la hauteur de leurs attentes. Alors agissez : faites un don aux hauts fonctionnaires qui pourraient céder à la tentation, et délivrez-les du mal.

Romain Van Dyck (rvandyck@lequotidien.lu)