C’est une tradition qui s’est perdue au fil du temps. Un marronnier, comme on dit dans le jargon. Un petit rendez-vous rituel plein de légèreté, sans autre prétention que celle de faire marrer son monde, dans la lourdeur d’une actualité toujours plus anxiogène. Le poisson d’avril est une espèce en voie de disparition, sinon d’extinction. Il y a encore quelques années, la blague était incontournable dans les médias, en cette période de vacances où la pêche aux infos n’est pas miraculeuse. Au mieux, si le texte était bien tourné, le trait d’humour prêtait à sourire. Au pire, cela faisait un flop et tant pis. Cela méritait juste une explication entre les lignes.
Oui mais voilà, des crises majeures sont depuis passées par là. Une pandémie aux lourdes conséquences, des guerres hybrides dévastatrices, des interférences étrangères dans les discours ambiants, une droitisation des démocraties à l’extrême, une redoutable intelligence artificielle… Ces maux de notre époque font que les bons mots – plus ou moins inspirés – n’ont plus leur place dans des colonnes qui n’ont plus le luxe de ne pas se prendre au sérieux. Ça ne mord plus à l’hameçon, tout simplement.
Et l’on peut aisément le comprendre. À l’heure d’une manipulation des faits toujours plus massive, aucun titre de presse n’a aujourd’hui très envie de se risquer à ce jeu dangereux. Les réseaux sociaux ont d’ailleurs repris le flambeau. Reconquérir une opinion publique désabusée est un défi immense. Les journalistes naviguent à vue pour retrouver un tant soit peu de crédibilité. Un mal certain a été fait. Il faut d’abord réparer les erreurs du passé. Et payer la facture salée de la désinvolture. Nous autres plumitifs de canards boiteux y laissons nos plumes, quand bien même celles-ci fussent soyeuses ou au contraire rugueuses. Et nous devons encore trimballer cette image surannée de vieux briscards accoudés au comptoir que les fictions se plaisent à mettre en scène.
La réalité du terrain, comme on dit aussi dans le jargon, est pourtant tellement différente. Le métier est précarisé comme n’importe quel autre poussé dans la course à la rentabilité. Pour au final laisser toute une génération désinformée trier le vrai du faux.
Alexandra Parachini