Devinette : je progresse d’années en années, je suis souvent l’objet de critiques, je ne m’intègre pas toujours facilement, mais mon usage enrichit. Je suis, je suis ? Les frontaliers français au Luxembourg ? Presque : la langue française dans le monde.
La langue de Molière se porte comme un charme, constate l’Organisation internationale de la francophonie. Avec près de 300 millions de locuteurs (en hausse de 10% depuis 2014), elle est la cinquième langue la plus parlée dans le monde, après le chinois, l’anglais, l’espagnol et l’arabe. Elle est la langue officielle de 32 États et gouvernements, et la seconde langue étrangère préférée des étudiants européens. Europe où, comme l’a déclaré un certain Jean-Claude Juncker, le Brexit a ouvert un boulevard pour le français au niveau des institutions européennes. Elle est aussi la quatrième langue la plus utilisée sur internet. Et certains, comme la banque Natixis, se hasardent même à prédire que le français pourrait devenir en 2050 la langue la plus parlée dans le monde, principalement grâce à l’expansion démographique africaine, où elle prospère.
Mais il est trop tôt pour sabler le champagne. Nombre de francophiles confondent usage et attachement au français. Dans beaucoup de pays multilingues, on n’utilise pas le français par amour de son opulent vocabulaire ou de ses vicieuses règles grammaticales (accord du participe passé suivi d’un verbe à l’infinitif : je te hais). Mais parce qu’elle est la langue des affaires, de la diplomatie, des ONG, de l’ex-colon ou de cette «culture à la française» qui fait encore rêver dans le monde. Le français reste alors une langue «secondaire», non maternelle. Cela ne fait pas forcément du français une langue «étrangère» ou superflue, puisqu’elle a tissé des liens historiques, intimes, avec ces pays, jusqu’à s’imprégner de leurs accents, de leurs expressions, de leur culture.
Mais ces liens ne sont pas indéfectibles. Aussi sublime et riche soit-elle, une langue tient à peu de chose : l’intérêt que ses locuteurs lui portent. À défaut de le raviver, la «langue de l’amour» peut rapidement devenir celle du divorce.
Romain Van Dyck