Il semblerait que. Les troupes seraient et les deux camps feraient. Selon tel commandant de l’armée ukrainienne, d’après tel responsable de l’état-major russe. Kiev accuse, l’Occident condamne, Moscou dément… Toujours du conditionnel et des suppositions, jamais de certitudes ni d’affirmations concrètes. Des chiffres impossibles à vérifier, des faits difficiles à établir.
Rarement un conflit n’aura été à ce point médiatisé. Rarement on aura été bombardés d’autant de vidéos, quasiment en temps réel. Mais jamais nous n’avons été aussi peu informés, en fin de compte, de ce qu’il se passe en Ukraine. Au doigt mouillé, chacun commente les conquêtes territoriales et la prise de Bakhmout, objet de toutes les spéculations depuis près d’un an. De tous les sacrifices humains, rapporte-t-on, sans que personne ne puisse quantifier les pertes, ni en décrire l’atrocité. La propagande tourne à plein régime de part et d’autre des frontières. Et la vérité peine à s’imposer.
Alors on s’en remet aux chaînes Telegram en ébullition, aux communiqués pondus à la hâte. Les grands médias internationaux dépêchent des journalistes sur place. Mais où, précisément ? Car des nouvelles du front, on n’en reçoit pas. D’aucuns relaient paroles officielles et témoignages autorisés, très loin du cœur de l’exaction. Des envoyés disons spéciaux, plus que des reporters de terrain. Qui citent plus qu’ils ne recueillent. De façon très cadrée et peu spontanée.
L’exemple ukrainien illustre la défaite de la profession dans son ensemble. La notion de reportage disparaît d’ailleurs du jargon, il faut seulement «produire du contenu». Générer des vues sur les sites putaclics, du trafic sur les réseaux asociaux. Du fric dans les caisses d’un secteur en faillite. Le nerf de la guerre, toujours. Qu’importe ce qui remplit les papiers, pourvu qu’il y ait l’ivresse de l’instant. Le buzz du moment. C’est aussi triste que regrettable. La carte de presse a perdu ses lettres de noblesse. Et ceux qui la détiennent, l’envie de se démener pour la mériter. Ne restent que des anciens combattants désabusés, nostalgiques de leurs faits d’armes. Et de candides petits soldats qui se bercent encore d’illusions pourtant déjà perdues.
Alexandra Parachini