Bonjour tristesse

Une bourgade anglaise sans taverne, c’est comme un village gaulois sans boulangerie. Tout simplement inconcevable. Voici pourtant une triste réalité qui rattrape les Britanniques ces derniers mois, de la même manière qu’elle a déjà rattrapé les Français qui voient nombre de ces précieux artisans du pain rendre leur tablier et baisser définitivement le rideau. Même pour ceux pétris des meilleures intentions, mettre la main à la pâte avec abnégation et sacrifices ne suffit plus. Ni à s’acquitter de factures toujours plus astronomiques, ni à dégager une quelconque marge, même microscopique. La baguette, quand bien même auréolée de son inscription au patrimoine immatériel de l’Unesco, ne leur permet plus de casser la croûte. Un savoir-faire victime du laisser tomber des pouvoirs publics…

Outre-Manche, l’ambiance au moment de l’happy hour, c’est bonjour tristesse désormais. Le sifflement des tireuses se fait de plus en plus discret. Car les faillites de pubs ont explosé en 2022 : 512 ont déposé le bilan, contre 280 l’année précédente, selon les derniers chiffres du secteur. Ceci à travers tout le Royaume-Uni, y compris dans les centres-villes. Sous perfusion durant la pandémie, par le biais des aides gouvernementales, les établissements trinquent aujourd’hui sous l’effet de prix de l’énergie plus que prohibitifs. Un sale coût de la vie, porté par une inflation record (plus de 10 %), qui émousse aussi forcément les consommateurs. Le comptoir perd ses piliers, l’after work, ses adeptes. Les foules n’écument plus les bars et la bière ne coule plus à flots. Boire ou conduire… Il faut donc choisir entre se remplir le gosier d’une pinte ou faire le plein de carburant pour se rendre au boulot, tant les deux bouts sont devenus impossibles à joindre.

Le nombre de pubs s’étiole lentement depuis plusieurs décennies, note la British Beer and Pub Association. Mais le covid puis la crise énergétique les ont mis «sous une pression plus forte que jamais», relève la fédération, hélas sans mauvais jeu de mots. Les patrons n’ont plus de quoi payer leur tournée et jettent l’éponge sur le zinc. Les pourboires ne sonnent ni ne trébuchent plus dans le verre, à moitié, sinon totalement vide.

Alexandra Parachini