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LuxLeaks : une victoire et des regrets

Clap de fin final : les procédures judiciaires contre les lanceurs d’alerte et le journaliste à l’origine de la révélation des LuxLeaks se sont achevées hier avec le second procès en appel d’Antoine Deltour. C’est du moins vrai au Grand-Duché, Raphaël Halet ayant demandé à la Cour européenne des droits de l’homme de trancher son cas, la justice luxembourgeoise ne lui ayant pas reconnu la qualité de lanceur d’alerte.
Elle l’a en revanche fait pour Antoine Deltour et cette décision l’honore à double titre. D’abord parce que la révélation de centaines de tax rulings accordés par le fisc luxembourgeois à des multinationales pour minorer leurs impôts était juste. Antoine Deltour a eu raison de divulguer les documents qu’il avait copiés chez son ancien employeur PWC. En témoigne les mesures prises par l’Union européenne et l’OCDE pour contrer ces pratiques qui privaient des dizaines de pays de milliards d’euros de recettes.
Ensuite, l’arrêt par lequel la Cour de cassation reconnaissait, le 11 janvier, le statut plein et entier de lanceur d’alerte à Antoine Deltour est une première en Europe. Il fera jurisprudence et constitue une avancée pour une liberté d’expression de plus en plus mise à mal, y compris dans nos démocraties. «C’est historique», s’était exclamé Me William Bourdon, avocat français d’Antoine Deltour, inlassable défenseur de la cause des lanceurs d’alerte.
L’on peut encore mettre au crédit de la justice la bonne organisation de ces procès, accueillant aussi bien les soutiens des lanceurs d’alerte que les dizaines de journalistes internationaux présents aux audiences. Elle a encore fait preuve de diligence en bouclant en deux ans un procès en correctionnel, deux procès en appel et un pourvoi devant la Cour de cassation.
Mais cela ne doit pas cacher qu’il y a aussi eu des motifs de mécontentement, comme en 2016, quand le président de la chambre correctionnelle, tel l’inquisiteur, semblait parfois instruire un procès en anticapitalisme contre les prévenus. Ces procès laissent surtout un goût d’inachevé car la justice n’a fait aucun effort réel pour entendre le principal témoin de l’affaire, l’ancien agent du fisc Marius Kohl, l’homme qui accordait des tax rulings à tour de bras. Porté pâle à chaque convocation, il n’a pas pu dire le degré de responsabilité de sa hiérarchie dans ces manigances fiscales, à commencer par son ancien ministre de tutelle Jean-Claude Juncker.
Au négatif, l’on peut encore retenir le caractère revanchard du parquet général et du conseil de PWC lors du second appel, donnant le sentiment qu’ils voulaient obtenir la condamnation à tout prix d’Antoine Deltour, histoire d’acter qu’à leurs yeux il est un voleur. C’était vraiment la jouer mauvais perdant et petit bras.
Il y a enfin le sort de Raphaël Halet, dont la Cour de cassation a maintenu la condamnation. Pour minime qu’elle soit, elle le cantonne dans le rôle de l’employé malhonnête que veut lui faire endosser PWC, alors que les déclarations fiscales qu’il a divulguées complètent à merveille les documents techniques révélés par Antoine Deltour. Elles montrent concrètement le niveau ridiculement bas de l’imposition appliquée à des multinationales au Luxembourg.
Tout dans ces procès ne finit donc pas pour le mieux. Il y a également le fond de l’affaire : la fiscalité des hyper-riches, entreprises ou particuliers. Les améliorations obtenues grâce aux LuxLeaks ne sont pas définitivement acquises. L’idée d’une imposition nulle des entreprises fait partout son chemin, y compris au Luxembourg où elle compte d’ardents partisans doctrinaires. Et puis, de Trump à Macron, il se trouve de plus en plus de dirigeants à vouloir exonérer les plus riches de leur devoir vis-à-vis de la société, à nier ce qui devrait être la fonction première de la fiscalité : un instrument de justice sociale.

Fabien Grasser.