Le vigneron bio Jean-Paul Krier (domaine Krier-Bisenius à Bech-Kleinmacher) livre son sentiment sur ces vendanges 2021.
Comme tous les vignerons luxembourgeois, Jean-Paul Krier (domaine Krier-Bisenius, à Bech-Kleinmacher) en a fini avec les vendanges. Mais lui travaille en bio, ce qui n’a pas simplifié son travail. Pourtant, il n’est pas mécontent de ce qu’il goûte aujourd’hui dans sa cave.
Enfin, les vendanges sont terminées…
Jean-Paul Krier : Heureusement, oui! Nous avons terminé le mardi 26 octobre. C’était dur, plus que les dernières années, mais on s’en est très bien sortis. Nous n’avons pas eu plus de pertes que les autres.
Justement, vous travaillez en bio. Gérer une année aussi compliquée que celle-ci, où la pression des maladies était très forte, ça n’a pas dû être simple?
Simple, certainement pas! De toute façon, quand on se lance en bio, on sait que l’on aura plus de travail. Ceci dit, bio ou pas bio, l’humidité était la même pour tout le monde. On a tous eu les mêmes problèmes : mildiou, raisins gonflés par l’eau… Ce qui était essentiel, c’était de traiter les vignes avec beaucoup de rigueur et surtout pas n’importe comment. Il n’y a pas besoin de mettre beaucoup de cuivre ou de soufre, les seuls produits autorisés en bio contre les maladies. Le plus important est de mettre des petites doses au bon moment. Au début, je prenais 120 grammes à l’hectare et à la fin, quand la pression était vraiment forte, je suis monté à 400 grammes à l’hectare. Finalement, cette année, j’ai mis 2 500 grammes de cuivre à l’hectare. Ce n’est pas vraiment pas beaucoup (NDLR : l’Europe limite les quantités à une moyenne de 4 kg par hectare et par an, lissés sur une période de 7 ans).
Pour s’en sortir, il a simplement fallu travailler plus
Comment avez-vous fait pour ne pas avoir plus de pertes que les vignerons en conventionnel, qui disposent de produits plus efficaces?
Le fait de passer plus souvent a permis de beaucoup limiter les dégâts, même si c’était avec des doses minimales. Et heureusement que j’ai un petit chenillard pour passer dans les vignes lorsque le terrain n’est pas praticable avec le tracteur… Pour s’en sortir, il a simplement fallu travailler plus. En 2020, qui était une année de rêve, la meilleure que j’ai jamais vécue, je n’avais fait que 5 ou 6 traitements. Là, j’en ai fait 12 ou 13, pratiquement toutes les semaines. Ce n’est pas de gaieté de cœur, mais on n’avait pas le choix.
L’année n’a pas été simple dans les vignes, comment cela se passe en cave?
C’est encore plus compliqué! Les raisins portaient peu d’acide tartrique, mais beaucoup d’acide malique, or la malique peut apporter un aspect végétal aux vins. Je n’aime pas ça et je ne voulais pas passer par une désacidification chimique. Ce n’est pas interdit, même en bio, mais je ne veux pas utiliser cette technique. Tous les moûts ont donc fait une fermentation malolactique (NDLR : qui dégrade l’acide malique en acide lactique et rend les vins plus souples, plus ronds et moins acides) en même temps que la fermentation alcoolique (NDLR : où les levures transforment le sucre en alcool et en gaz carbonique). En lançant cette fermentation aussi tôt, dans les moûts avant que les vins ne soient finis, on garde le caractère fruité du raisin sans apporter le côté beurré qui ressort habituellement d’une malolactique, un goût que je n’apprécie pas forcément. Et quand les fermentations seront achevées, j’ai l’intention de laisser les vins plus longtemps que d’habitude sur lies. Sans doute jusqu’en février. Les raisins n’étant pas très concentrés, ce contact prolongé avec les lies permettra de leur apporter plus de force et de matière de manière complètement naturelle.
J’ai mis un peu de chaque cépage en barrique
Vous avez appliqué ces processus à tous vos vins?
Oui. Et il y aura encore un travail d’assemblage à faire ensuite, puisque j’ai mis un peu de chaque cépage en barrique. Cela me donnera une note supplémentaire pour composer les vins les plus harmonieux et les plus intéressants possibles.
Cette année, il fallait donc innover et ne surtout pas répéter les mêmes gestes que d’habitude…
Absolument. Ce millésime exigeait autre chose. Dès que les vendanges commencent, il faut savoir dans quelle direction on veut mener les vins. Et trouver ce chemin cette année, alors que la situation dans les vignes était stressante, ce n’était pas évident… un sacré défi ! Mais au final, ce qui compte, c’est le vin pas le travail qu’il y a derrière. Il faut penser aux clients, pas à nous. Je pense qu’ils trouveront ces vins intéressants. En tout cas, ils se goûtent déjà très bien maintenant. Ils seront différents de ceux que l’on a produits ces dernières années, mais je pense que beaucoup de personnes seront contentes de mettre à table des vins pas trop forts en alcool. Moins de 13 °, ça va changer des millésimes précédents!
On se rapprocherait alors des vins du millésime 2017?
Entre 2017 et 2019, je dirais. Je suis particulièrement confiant à propos des rieslings. Ce seront certainement des vins intéressants, mais il faudra être patient et ne pas les boire avant deux années au moins. Ils auront besoin de temps pour s’équilibrer, mais les rieslings aiment l’acidité, ils se construisent autour d’elle. De manière plus générale, il sera intéressant de comparer les vins lorsqu’ils sortiront au printemps. Je pense qu’il y aura une énorme variabilité entre les domaines. Non seulement dans la qualité, qui découlera beaucoup du soin porté à la vigne pour ne pas vendanger les raisins pourris, mais aussi dans les orientations œnologiques choisies. Il y aura de choses intéressantes, c’est certain. Mais aussi d’autres qui le seront certainement beaucoup moins!
D’ailleurs, au niveau des quantités, vous en êtes où?
Même si on a laissé beaucoup de raisins abîmés par terre pour ne garder que les grappes saines, ce n’est pas si mal finalement. Cela représente une année normale, rien de catastrophique. Malgré tout ce qui s’est passé cette année, nous avons encore été chanceux d’échapper au gel, à la grêle, aux inondations… Dans les pays voisins, certains ont vraiment énormément souffert. Bien plus que nous, il faut s’en rendre compte.
Erwan Nonet