Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Pour son premier film, le musicien et réalisateur britannique Jeymes Samuel voit grand ou, plutôt, voit large : The Harder They Fall est une plongée vertigineuse dans les grands espaces du Far West.
Genre américain par excellence – l’un des tout premiers inventés après l’arrivée du cinématographe aux États-Unis –, le western a mis en images les maintes et maintes légendes de l’Ouest, avec ses duels, ses plus rapides tueurs, ses braquages de diligences et ses histoires méconnues. Mais avec son long métrage, Samuel entend remettre à leur place les oubliés de l’histoire. Car le western, tout immense qu’il est, reste un genre éminemment blanc.
Le réalisateur, Jeymes Samuel, offre à ses personnages noirs un western complet : braquages de banque, attaques de train, duels, fusillades…
Le cinéma n’a pas commencé à émanciper les personnages noirs au sein du western à partir de Django Unchained (Quentin Tarantino, 2012), mais la réinterprétation du fameux personnage sous les traits de Jamie Foxx en esclave affranchi venu libérer ses pairs a eu un impact évident sur l’apparition de protagonistes noirs dans le genre. The Harder They Fall pousse un peu plus loin le concept : en ouverture du long métrage, distribué depuis mercredi sur Netflix, un carton indique que «bien que les faits racontés soient l’œuvre de la fiction. Ces. Gens. Ont existé.», prenant soin de mettre l’accent sur la dimension historique de ses personnages.
Réels, donc, mais pas réalistes. L’histoire du chef de gang Nat Love (Jonathan Majors) et sa croisade sanglante pour retrouver et tuer Rufus Buck (Idris Elba), son ennemi juré et responsable de la mort de ses parents, plonge donc une ribambelle de personnages historiques dans une pure histoire de western. Les inspirations du film, tant américaines qu’italiennes, sont d’ailleurs loin d’être des exemples de réalisme historique : citons Il buono, il brutto, il cattivo (Sergio Leone, 1966) pour son aspect choral et ses effusions de sang, le cartoonesque film de duels The Quick and the Dead (Sam Raimi, 1995) ou la virtuosité surréaliste et le féminisme de Johnny Guitar (Nicholas Ray, 1954).
Le simple fait que les protagonistes aient réellement existé suffit à Jeymes Samuel – et son coscénariste, Boaz Yakin – pour mettre en lumière des légendes négligées de l’Ouest. À l’exception d’un humour entendu qui surgit au détour de telle ou telle réplique, ainsi que des références au cinéma de «blaxploitation», le réalisateur ne s’emploie pas à jouer la carte du militantisme. L’intérêt de Jeymes Samuel réside dans le désir simple d’offrir à ses personnages noirs un western «complet», et qui comprend donc braquages de banque – dans la «ville blanche» –, attaques de train, duels, dangereux cow-boys et, comble du genre, une fusillade finale exceptionnelle. Coproduit par le rappeur Jay-Z, pour qui Samuel avait réalisé un clip en 2017, The Harder They Fall revendique son influence hip-hop en lorgnant parfois le film musical (avec des morceaux signés Jay-Z, Kid Cudi, Cee Lo Green, Fatoumata Diawara ou Seal, dont Jeymes Samuel est le frère), portant les explosions – propres et figurées – de couleurs et de lumière, dans la photographie éclatante de Mihai Malaimare Jr., à un tout autre niveau.
Ce qui finit d’en faire un film à la grande générosité, c’est son casting d’exception, Jonathan Majors et Idris Elba en tête, très bien entourés de la dangereuse Regina King, un Lakeith Stanfield hors du commun en tireur sociopathe et une grandiose Danielle Deadwyler en cow-boy (et non cow-girl : son personnage refuse d’être «mégenré») qui vole toutes les scènes à ses prestigieux collègues à chacune de ses apparitions. Seul bémol : comme tout western qui se respecte, The Harder They Fall est taillé pour la salle. Rares sont les «films originaux Netflix» qui méritent le détour, mais avec l’une de ses plus belles réussites, on regrette que le géant du streaming coupe ainsi l’herbe sous le pied du cinéma en salle.
Valentin Maniglia
The Harder They Fall de Jeymes Samuel
Avec Jonathan Majors, Idris Elba, Zazie Beetz, Regina King…
Genre western
Durée 2 h 19
