Face aux réticences de certains États et à l’opposition des eurodéputés conservateurs, les négociations sur une loi pour réduire l’usage des pesticides dans l’UE patinent, au risque de compromettre son adoption d’ici aux élections européennes de 2024.
Le texte proposé en juin 2022 par la Commission européenne prévoyait de réduire de moitié d’ici 2030, comparé à la période 2015-2017, l’utilisation et les risques à l’échelle de l’UE des pesticides chimiques ou dangereux.
D’emblée, une partie des États membres et parlementaires se sont alarmés du sort des cultivateurs potentiellement laissés « sans alternative » et d’une chute des rendements agricoles, en dépit des dénégations de Bruxelles. Un an plus tard, les négociations entre les Vingt-Sept marquent le pas, et le texte est menacé de rejet par les eurodéputés du Parti populaire européen (PPE, droite).
« Il faut avancer, mais clairement, de façon réaliste, ça va être très difficile de conclure avant les élections européennes de 2024 », estime le ministre espagnol de l’Agriculture Luis Planas, dont le pays assure la présidence tournante de l’UE à partir de juillet.
Depuis janvier, la présidence tournante suédoise a certes préparé quelques compromis sur « la lutte intégrée contre les nuisibles » (association de toutes les méthodes de protection), pour autoriser les États à adopter soit « des règles contraignantes », soit de simples « lignes directrices » sur base volontaire – des flexibilités détaillées dans un bilan publié lundi.
Mais les discussions restent suspendues à l’étude d’impact complémentaire réclamée fin décembre par les Vingt-Sept à la Commission pour évaluer les conséquences sur « la sécurité alimentaire ».
« Échanges vifs »
« Nous attendons toujours ce rapport », et pour l’heure, « nous sommes pleinement conscients des prises de position très fortes au Parlement », tandis que les ministres de l’Agriculture « ont eu des échanges très vifs », a insisté Luis Planas, en marge d’une réunion à Stockholm cette semaine avec ses homologues européens. « C’est problématique. Si on fait des règlementations sans donner l’idée des conséquences, on crée de la tension, de la suspicion », abonde son homologue français Marc Fesneau.
Outre des « clauses-miroirs » imposant les mêmes règles aux produits importés, Paris plaide pour un équilibre avec le futur projet de législation encourageant les techniques d’édition génomique, susceptibles de créer des semences résistantes requérant moins de pesticides.
Nombre d’États réclament aussi d’intégrer les « spécificités locales » et les efforts déjà réalisés par chaque pays. « Tous les pays n’ont pas un niveau identique d’usage des pesticides (…) Je ne suis pas sûr que ces éléments soient suffisamment pris en considération », soutient le ministre belge David Clarinval.
« Statu quo »
Le compte à rebours est enclenché avant les élections de juin 2024 qui renouvelleront Parlement européen et Commission. « On devient otage des plus radicaux de part et d’autre », entre un PPE « en train de se raidir » et « ceux qui disent qu’il faut aller plus fort et ne rien céder », estime Marc Fesneau.
« Si chacun refuse les compromis, on va perdre six mois, et peut-être davantage », ajoute-t-il, s’inquiétant des équilibres qui sortiront des élections, peut-être moins favorables au compromis. Au Parlement, le texte doit faire l’objet d’un vote en juillet en commission Agriculture, puis d’un scrutin en séance plénière en vue de futurs pourparlers avec les États une fois arrêtée la position de ces derniers.
Assurant vouloir préserver la « sécurité alimentaire » et fustigeant le « fardeau réglementaire » imposé aux agriculteurs, le PPE, première force du Parlement, exige un « moratoire » sur ce texte comme sur une loi en cours d’examen fixant des objectifs de restauration d’écosystèmes abîmés.
« Les objectifs de réduction (des pesticides) ne sont tout simplement pas atteignables, la proposition n’offre pas d’alternatives viables », a tranché le PPE, qui appelle en revanche à accélérer sur les « nouvelles techniques génomiques » (NGT). Bruxelles souhaite encourager celles-ci via un texte attendu début juillet – au grand dam de la gauche parlementaire, qui dénonce volontiers de « nouveaux OGM ».
Des positions antagonistes augurant une paralysie dans l’hémicycle, s’inquiète Frans Timmermans, vice-président de la Commission, pour qui ces deux textes vont de concert. « Restez sur vos positions, et cela signifie le statu quo : pas de loi pesticides ni de NGT », a-t-il récemment lancé aux élus.