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Procès LuxLeaks : « Le Luxembourg a pratiqué les rulings dans l’illégalité »


Raphaël Halet à son arrivée à la Cour d'appel de Luxembourg, ce mercredi. (photo Alain Rischard)

Au dernier jour des plaidoiries du procès en appel des lanceurs d’alerte de l’affaire LuxLeaks, la défense de Raphäel Halet a cherché mercredi à démontrer l’illégalité des rescrits fiscaux accordés par le Luxembourg aux multinationales. Ou comment le Grand-Duché a vendu son État de droit à des sociétés privées.

C’est une plaidoirie en forme de coup de poing qu’a adressée Me Bernard Colin, l’avocat de Raphaël Halet, à l’État luxembourgeois ce mercredi. Avant Noël, la défense d’Antoine Deltour s’était contentée de plaider l’intérêt général des révélations de l’affaire LuxLeaks, revendiquant à ce titre la protection de la jurisprudence de la Cour européenne des droits d l’Homme.

De son côté, le représentant de l’ex-secrétaire de PwC Luxembourg s’est attaché mercredi à prouver l’illégalité de ces fameux « tax rulings » tels qu’ils ont été pratiqués au Luxembourg à la date des LuxLeaks (entre 2002 et 2010). « Dès le départ, c’est ce que M.Halet a voulu remettre en cause », a attaqué Me Bernard Colin. Son client avait écopé de 9 mois de prison avec sursis et d’une amende de 1000 euros en première instance. L’avocat général a cette fois requis une simple amende à son encontre.

Réfutant le fameux « tout est légal » répété « en boucle » par le gouvernement luxembourgeois et le cabinet PwC, l’avocat messin a argumenté : « On nous dit aussi que le Luxembourg n’est pas le seul pays à pratiquer les rulings fiscaux. Mais c’est le seul pays de l’Union européenne à l’avoir pratiqué sans aucune base légale. »

Selon l’avocat, aucune loi ni aucune circulaire n’existaient au Luxembourg concernant ces accords fiscaux anticipés conclus entre l’administration fiscale et les multinationales par l’intermédiaire des cabinets fiscalistes. Et ce tandis qu’aux Pays-Bas ou en Belgique, des textes légaux, « discutés au Parlement », encadraient cette pratique.

« Le Luxembourg continuera, en pire »

Me Colin cite la fameuse page – manquante puis retrouvée – du rapport établi sur le sujet par Jeannot Krecké, alors député, en 1997 : « La pratique des rulings n’existe pas dans notre législation fiscale. » Une circulaire sera bien produite par le gouvernement pour combler ce vide juridique, mais elle sera vite abrogée, la Commission européenne l’ayant considérée comme illégale. « Dès lors, le Luxembourg continuera, en pire, et de façon totalement occulte », poursuit l’avocat de Raphaël Halet.

Le Luxembourg aurait ainsi maintenu volontairement l’absence de règles sur les rulings afin de ne pas se faire pincer par Bruxelles. Le tout en appliquant des taux de marge de plus en plus dérisoires (0,0015%). Et Me Colin d’ajouter que les règles internationales de calcul des prix de transfert n’étaient pas respectées, citant les travaux de l’universitaire Omri Marian, qui a analysé les rulings de l’affaire LuxLeaks.

« Poule aux œufs d’or »

Revenant sur la totale liberté dont jouissait Marius Kohl (l’ex-« M.Ruling » au fisc luxembourgeois, retraité depuis 2013), Me Colin conclut : « C’est donc PwC et les autres cabinets fiscaux qui faisaient la norme au Luxembourg jusqu’en 2014, en donnant les rulings à Marius Kohl qui les tamponnait tous sans en lire aucun. Une vraie poule aux œufs d’or ! »

Ce n’est en effet qu’en janvier 2015, trois mois après l’éclatement de l’affaire LuxLeaks, que le Luxembourg s’est dotée d’un texte de loi encadrant la pratique des rescrits fiscaux : « Ce sont les révélations des deux lanceurs d’alerte qui ont permis de remettre de l’ordre dans la maison du Luxembourg et dans son système législatif », assène Me Colin. « Alors dire que les rulings étaient légaux, c’est se foutre du monde ! »

L’avocat note d’ailleurs que le Luxembourg vient également, sous la pression de Bruxelles, de « légiférer en catastrophe », le 27 décembre 2016, « pour créer une base légale aux APA » (ndlr : équivalents des rulings – ATA – sur les prix de transfert). « Car la législation n’existait pas non plus jusqu’ici sur les prix de transfert. »

Pour clore sa démonstration sur l’illégalité des rulings luxembourgeois, Me Colin a rappelé les enquêtes pour aides d’Etat illégales lancées par Bruxelles, le redressement fiscal de McDonald’s en France, ou encore le non-respect de l’échange automatique de ces informations, pourtant prévu dans une circulaire européenne de 1977…

Papier à en-tête et archivage par PwC

Enfin, Me Colin ne s’est pas fait prier pour revenir sur le papier à en-tête du fisc luxembourgeois qui avait été confié par l’administration au cabinet PwC Luxembourg, pour gagner du temps et « pour produire encore plus de rulings ». Aussi, le travail d’archivage des rescrits fiscaux était également confié au cabinet d’audit.

Des faits non contestés qui, selon l’avocat, dépassent de simples « carences administratives », comme évoqué par le ministère public, et eux aussi illégaux, bien que le parquet de Luxembourg ait déjà avancé qu’il n’y avait là « aucune infraction ». « On a confié les clés du pays à une société privée », a déploré Me Colin, comparant PwC à « une sous-fonction publique », qui « a détourné la justice luxembourgeoise ». Et l’avocat de Raphaël Halet de citer la déclaration d’un ex-employé du fisc luxembourgeois : « Ce que fait Marius (Kohl) nous reviendra un jour en pleine gueule. »

« Les rulings ont amputé de 6% le PIB du continent africain »

La plaidoirie de Me Colin aurait été la même dans le cadre d’un procès contre l’Etat luxembourgeois, « membre fondateur de l’Union européenne ». Et l’avocat de tonner encore : « Ces rulings n’ont pas impacté seulement le budget des pays européens, ils ont aussi amputé de 6% le PIB du continent africain. Nous n’avons pas affaire ici à une petite escroquerie à 50000 euros sur un chantier ! »

En conclusion, l’avocat, longuement applaudi dans la salle d’audience, a estimé que son client, en confiant 14 déclarations fiscales de multinationales au journaliste Edouard Perrin, avait « clairement apporté sa pierre à l’édifice », permettant l’éclatement du scandale et ses conséquences politiques, avec le changement des règles du jeu fiscales internationales.

Au cas où l’illégalité des rulings ne fasse pas mouche auprès des juges, sa confrère Me May Nalepa a terminé en revendiquant la protection de Raphaël Halet par l’article 10 (sur la liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’Homme. « Nous jouons dans le même camp, messieurs les juges, celui de la démocratie et des mêmes règles pour tous. »

Raphaël Halet est au chômage depuis son licenciement par PwC Luxembourg en mai 2015. Et son avocate de lancer aux juges : « Il n’a rien à gagner dans cette affaire. Qu’on ait le courage de lui rendre sa dignité ! »

Sylvain Amiotte

Le procès s’achèvera le 9 janvier avec les répliques des avocats et de l’avocat général.