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«New Deal» transfrontalier : les entrepreneurs lorrains et luxembourgeois lancent le pavé


Le Sillon Lorrain a fait les comptes : en imaginant une A31 bis de Thionville à Luxembourg, des nouveaux bus, et 13000 nouvelles places dans les trains de la ligne 90, on gagne au maximum 23000 nouvelles "places" d'ici 2030... pour au minimum 40000 nouveaux frontaliers français attendus. Il faut repenser le co-développement (Photo : archives editpress).

Depuis Metz, mardi, entrepreneurs luxembourgeois et lorrains ont plaidé pour une réelle prise en compte des intérêts du territoire transfrontalier. Pénurie de main d’oeuvre, transports sous-dimensionnés, logements ou encore formation : les défis sont tels qu’il est temps d’arrêter de jouer la montre.

C’est un fait inédit qui s’est déroulé mardi à Metz : entrepreneurs luxembourgeois et lorrains ont fait un appel du pied très net aux dirigeants politiques, à l’occasion d’une conférence sur le co-développement organisée par le Sillon Lorrain. Il s’agit d’accélérer sur le développement transfrontalier, vu les défis qui arrivent. Et disons-le franchement, il faut éviter la catastrophe qui se profile à tous les niveaux entre le Luxembourg et ses voisins : pénurie de main-d’œuvre, transports, logement…
Après un constat effarant – 23 000 «places» créables sur l’A31 ou le rail d’ici 2030 pour 40 000 nouveaux frontaliers attendus dans le même temps – la vice-présidente du Medef Grand Est, Christine Bertrand, prend la parole : «Avoir le goût d’agir ensemble, pose-t-elle comme condition préalable à l’action. Il est indispensable de considérer que nous faisons partie d’un territoire commun désormais.» Et donc, poursuit-elle, que «la richesse commune doit être aux bénéfices de tous, car il n’y a pas d’alternative».

Le Medef Grand Est veut un New Deal

«Il y a eu des initiatives fortes prises par le passé [...] Aujourd'hui, il faut un New Deal», appelle la vice-présidente des patrons du Grand-Est (Photo : HG)

«Il y a eu des initiatives fortes prises par le passé […] Aujourd’hui, il faut un New Deal», appelle la vice-présidente des patrons du Grand-Est (Photo : HG)

Christine Bertrand salue la formidable soupape d’emploi qu’a constituée le Grand-Duché dans les années 90, alors que la Lorraine était en crise, mais elle constate : «Il y a eu des initiatives très fortes prises par le passé, comme le Pôle européen de développement (NDLR : zone d’attractivité économique franco-belge-luxembourgeoise). Aujourd’hui, il faudrait un New Deal.» La vice-présidente esquisse :
• Réaliser l’A31 bis dans les meilleurs délais, car «le risque d’asphyxie est réel».
• «Interroger nos États» sur le différentiel intenable en matière de charges fiscales et salariales d’un côté de la frontière à l’autre.
• «Instaurer un dispositif transfrontalier d’aide à l’installation des cadres», puisque l’on joue sur un échiquier mondial et que la concurrence pour attirer les talents n’est pas tant entre Luxembourg et Metz, mais entre Luxembourg et Londres par exemple.
• Harmoniser les formations professionnelles, notamment dans l’apprentissage.
• Créer un lieu d’échange entre le Luxembourg et la France au niveau des entreprises (une sorte de Chambre de commerce supra-étatique, si on a bien compris).

Nicolas Buck prend la balle au bond

Nicolas Buck, président de la puissante Fédil luxembourgeoise, veut aussi trouver les moyens pour abolir les frontières économiques. «Le Luxembourg n'est pas qu'une source de problèmes», lance t-il en intro non sans taquiner les Lorrains (Photo : HG).

Nicolas Buck, président de la puissante Fédil luxembourgeoise, veut aussi trouver les moyens d’abolir les frontières économiques. «Le Luxembourg n’est pas qu’une source de problèmes», lance t-il en intro non sans taquiner les Lorrains (Photo : HG).

Nicolas Buck, le président de la Fédération des industriels luxembourgeois (Fedil), prend la balle au bond avec un humour grinçant : «Nous avons une démocratie au Luxembourg, vous avez des élections ici, nous n’avons donc pas de démocratie commune. C’est comme ça!» Puis il enchaîne : «C’est évident que nos responsables politiques n’ont pas anticipé la mobilité ces 30 dernières années. Et sur l’A31 bis, c’est utopique au Luxembourg de croire qu’on ne va pas participer au financement. Et c’est pareil pour tout le reste de la mobilité. Mon propos, avec les politiques de mon pays, c’est de dire : votre budget infrastructures ne peut plus s’arrêter à la frontière.»
Nicolas Buck est ensuite parti sur un autre terrain, plus glissant encore : le codéveloppement concret, c’est-à-dire la capacité du Luxembourg à faire aimant pour des entreprises qui viennent s’installer dans la Grande Région. «Il nous reste une vingtaine d’hectares pour les industries au Luxembourg, voilà le chiffre. Vous en avez combien à Illange encore : 150 hectares peut-être? Et sur le plateau de Metz? 400 hectares! Le truc le plus compliqué à réussir, ça sera ça : placer des industries de l’autre côté.» Reste à savoir comment, puisque la zone franche en préparation entre Esch et Audun ne sera pas duplicable à l’infinie.

La nouvelle génération n’attendra pas
Du côté d’ArcelorMittal Luxembourg enfin, on alerte sur des lourdeurs transfrontalières «qui ne correspondent plus à la mobilité d’aujourd’hui», comme sur le casse-tête juridique et fiscal du télétravail par exemple.
Dernier paramètre très important : «La génération qui arrive nous envoie des signaux nouveaux, explique la responsable des ressources humaines. Il y a des profils qui refusent de prendre un emploi pourtant bien rémunéré au Luxembourg à cause des transports, ce qui était inimaginable il y a encore cinq ans. La part de vie privée, et le sens qu’on lui donne, n’a jamais été aussi forte.»

La réaction des responsables politiques lorrains

Le président du Grand-Nancy a pris la parole en premier à Metz, mardi. Tout un symbole de «la fin "des Lorraines" du passé», et de la conscience des enjeux qui dépassent les territoires politiques (Photo : Hubert Gamelon).

Le président du Grand-Nancy a pris la parole en premier à Metz, mardi. Tout un symbole de «la fin ‘des Lorraines’ du passé», et de la conscience des enjeux qui dépassent les territoires politiques (Photo : Hubert Gamelon).

Rossinot : «Comprendre vite les enjeux»
Le président du Grand Nancy, André Rossinot, explique que la période où «tout le monde se dit européen, mais dès qu’on rentre dans le vif du sujet, ça devient plus ardu» est terminée. «Les élus locaux n’ont plus toutes les solutions sur leur territoire, nous avons besoin d’intelligence collective.» André Rossinot, personnage politique de premier plan, estime que le Sillon Lorrain (Thionville, Metz, Nancy, Épinal) est désormais une entité politique transversale solide, à même de soulever des problèmes «extrêmement importants», comme celui de la perte démographique dans la Grande Région cumulée à une «hypercroissance du Luxembourg». On sent une volonté politique très forte, «loin « des Lorraine » du passé […] Il faut comprendre vite les enjeux, car les problèmes arrivent beaucoup plus vites qu’avant».
Marx : Un beau challenge à la frontière»
Le préfet de la région Grand Est, Jean-Luc Marx, a pris bonne note d’un diagnostic clair et partagé (ce qui n’est pas le cas quand on voit qu’au Luxembourg le ministre du Développement durable et des Infrastructures, François Bausch, estime que tout ira mieux à l’avenir sur le train). «Sur l’A31 bis, il y a une unité politique et nous allons arrêter un schéma précis. Il faut additionner les solutions, et je salue l’initiative de covoiturage luxembourgeois Copilote. Pour le reste, nous prolongeons nos négociations de Paris pour un meilleur codéveloppement.» Et de confirmer qu’une zone franche fiscale entre Esch et Audun est à l’étude au plus au niveau de l’État français.

Le préfet de la région Grand Est a confirmé une étude de «zone commune» sur la friche des Terres-Rouges, entre Esch et Audun (Photo : HG)

Le préfet de la région Grand Est a confirmé une étude de «zone commune» sur la friche des Terres-Rouges, entre Esch et Audun (Photo : HG)

Cuny : «Développer les horaires atypiques!»
Le maire de Thionville, Pierre Cuny, est un fervent défenseur du télétravail, «qui permet de développer les horaires atypiques, comme le fait de partir après 10 h en ayant travaillé avant. Et on le sait, la circulation est bien meilleure!» Pierre Cuny se montre déçu par le faible enthousiasme (notamment côté luxembourgeois) en faveur d’une organisation réelle pour le télétravail : «Ça et le covoiturage, ça résoudrait beaucoup de problème!»
Jacque : «Créer un Eurodistrict»
Le conseiller régional spécialiste du transfrontalier Édouard Jacque s’est montré un brin lassé par la conférence. «On est passé à côté de sujets fondamentaux, comme la future « grosse interco politique » qui irait de Lonwy à Thionville… pour faire quoi? On va lui donner 120 000 euros de budget et ne transférer aucune compétence, quelle blague! Regardons ce qui se fait entre Alsace et l’Allemagne plutôt : un véritable Eurodistrict partagé, avec des prises de décision fortes et des résultats. Cette façon, en Lorraine, de ne pas raisonner à la bonne échelle du territoire nous plombe.»

HG

4 plusieurs commentaires

  1. la différence entre Mr Buck et Mr Bausch: le premier voit à vingt ans et le second, pas plus loin que le bout de son nez ! ! !

  2. De cet article je ne retiens qu’une chose: « Cette façon […] de ne pas raisonner à la bonne échelle du territoire nous plombe ».
    En f’rance, tout se décide à Paris, symbole de l’Etat jacobin et de sa lourdeur administrative, parce que ces politicards verreux ne supporteraient pas de perdre leur pouvoir en appliquant le principe de subsidiarité et en délégant à des territoires cohérants les compétences, mais aussi le buget nécessaires à une saine gestion des affaires.

  3. francais expat

    mais quelle idée d’être frontalier ! suivez moi et devenons résident 🙂

  4. Denimal Guillaume

    Tout le monde est d’accord sur le diagnostic, mais côté politique le consensus n’est pas pour demain.. La situation est catastrophique, notamment en Moselle. Si on ne trouve pas rapidement de solution au problème des transports il faut impérativement freiner la construction de nouveaux logements. Les routes sont pleines, le rail fonctionne à flux tendu, nous n’avons aucune marge de manoeuvre pour absorber le flux croissant de frontaliers. Même si on investit massivement dans les infrastructures, il faudra des années pour dans le meilleur des cas stabiliser la situation. La seule solution « facile » à mettre en oeuvre est de délivrer au compte goutte les permis de construire. A thionville on construit énormément d’appartements,pour les frontas, comment ces gens iront-ils au travail? Il faut arrêter cette fuite en avant et régler en premier le problème des infrastructures de transport.

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