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Luxembourg : le télétravail devrait durer


«L'hypothèse est qu'une grande partie des employés va rester en télétravail», prédit le directeur du Statec (Photo d'illustration : AFP).

La crise sanitaire a accéléré la pratique du télétravail. Mais elle a, dans le même temps, mis en lumière plusieurs problèmes en lien avec le travail à distance.

Le télétravail est devenu une réalité au Luxembourg. Si la pratique a permis de maintenir l’activité économique assez rapidement au plus fort de la crise, elle pose aujourd’hui un grand nombre de questions dans le monde de l’emploi.

Dans son rapport «Travail et cohésion sociale 2020», le Statec souligne ainsi, par la voix de son directeur, Serge Allegrezza, que «le télétravail a explosé lors du confinement. 52 % des actifs occupés ont fait du télétravail pendant la crise sanitaire. 82 % des personnes actives ayant pratiqué le télétravail pendant le confinement ont fait des appels vidéo à des fins professionnelles. Le télétravail de crise a été une réponse à la pandémie. Nous n’en sommes qu’au début du télétravail, même si notre enquête montre certaines problématiques liées à cette pratique.»

En effet, selon le Statec, 45 % des télétravailleurs ont rencontré des problèmes lors de l’utilisation d’internet à domicile à des fins professionnelles. Près de 32 % des télétravailleurs se sont plaints de la mauvaise qualité de leur connexion et 12 % doivent partager le matériel informatique disponible avec d’autres membres de leur ménage quand 4 % disposaient d’un matériel informatique dépassé. Enfin, 7 % ont déclaré ne pas avoir assez de compétences informatiques et 5 % ont dû faire face à des services en ligne inaccessibles ou peu compréhensibles.

Pas que la question fiscale

Si les questions fiscales, notamment à propos des frontaliers, ont presque monopolisé le débat autour du télétravail, les questions se posent également autour du code du travail et du bien-être au travail, sans oublier les aspects de la pratique en termes de productivité et d’efficacité. Des questions qui vont devoir être tranchées si la pratique du télétravail perdure, ce que laisse entrevoir les chiffres. «Est-ce que cette habitude prise va s’installer sachant que l’on y a découvert des avantages et des désavantages? s’interroge Serge Allegrezza, avant de répondre : Probablement. Peut-être la pratique va-t-elle se réduire à l’avenir, il faut rester prudent et ouvert. L’hypothèse est qu’une grande partie des employés va rester en télétravail. Il faut suivre et analyser la tendance, mais je pense qu’à l’avenir télétravail et présentiel seront associés.»

Une chose est certaine : le télétravail a été rendu possible grâce à l’infrastructure télécoms du pays (et de la Grande Région), qui a permis avec plus ou moins de facilité le télétravail massif en période de crise, et aux compétences numériques de sa population. «Les activités à forte valeur ajoutée ont pu continuer à travailler, ce qui est une bonne chose pour une économie de services comme le Luxembourg. Cela explique aussi pourquoi le pays connaît une récession moins grande que celle des pays voisins», a terminé Serge Allegrezza.

Un télétravail révélateur des inégalités

D’un autre côté, le télétravail a également montré les inégalités dans le monde de l’emploi. En effet, cette pratique ne convient pas à l’ensemble des métiers et des actifs. «Ce sont surtout les cols blancs qualifiés, les titulaires d’un diplôme universitaire et qui travaillent dans de grandes entreprises qui recourent au télétravail. Alors que dans les secteurs « information et communication » et « activités financières et d’assurances », presque tout le monde travaillait à distance au deuxième trimestre 2020, le pourcentage de télétravailleurs dans le secteur de la santé et du travail social reste très faible. L’administration publique se démarque par une croissance exceptionnelle, où le pourcentage du télétravail a été multiplié par 3,7», souligne le Statec dans une analyse consacrée au télétravail.
Autre statistique troublante, les personnes occupant un métier dit «essentiel» et en «première ligne», donc celles qui ne pouvaient pas télétravailler tout en exerçant une activité vitale pour le fonctionnement de l’économie et de la société, gagnent en moyenne 23,9 euros de l’heure. Par comparaison, elles sont mal loties. La moyenne pour les salariés du pays se situe en effet à 25,6 euros de l’heure. Ceux exerçant une activité non essentielle touchent 25,2 euros de l’heure, alors que ceux qui travaillent dans un secteur essentiel (notamment dans le secteur financier) mais ne sont pas «en première ligne», et sont donc en télétravail, gagnent en moyenne 27,7 euros de l’heure.

Jeremy Zabatta

Une «première ligne» plus précaire que les autres

Au lycée des Garçons d'Esch, lors de la rentrée (Photo : Julien Garroy).

Au lycée des Garçons d’Esch, lors de la rentrée (Photo : Julien Garroy).

Sans pouvoir en faire une généralité, le Statec souligne tout de même que les salariés en première ligne pendant la crise sanitaire sont des travailleurs moins qualifiés et moins bien rémunérés.

La «première ligne». En période de guerre, elle est aussi appelée la «chair à canon». La similitude est peut-être trop dure et réductrice par rapport à la réalité de la crise sanitaire. Et pourtant. Le rapport «Travail et cohésion sociale 2020», présenté hier par le Statec, montre que la première ligne dispose de «caractéristiques» sensiblement différentes de celles de l’ensemble des travailleurs actifs au Luxembourg.
Ainsi, les emplois dits «en première ligne», si on les compare aux autres, sont davantage occupés par des femmes, correspondent à un niveau d’éducation moins élevé, sont composés davantage de postes peu qualifiés et présentent plus de temps partiels et de contrats à durée déterminée, une caractéristique des emplois précaires. Triste constat pour les hommes et les femmes qui ont été en «première ligne» au plus fort de la crise.
Au Luxembourg, les secteurs emploient les deux tiers du total des salariés. Parmi eux, la moitié, soit 150 000 salariés, sont considérés comme étant en première ligne.

Une catégorie diversifiée

Avec un salaire moyen de 23,9 euros de l’heure, les salariés en première ligne sont ceux qui gagnent le moins dans le pays.
Pour nuancer et ne pas tomber dans le pessimiste le plus total, il faut tout de même préciser que s’il existe des différences – pour ne pas dire des inégalités – entre les salariés en première ligne et les autres, des différences apparaissent aussi parmi les salariés les plus exposés. En effet, dans cette première ligne, on retrouve des métiers très différents. Cela va du professionnel de la santé à l’enseignant, donc une catégorie très diplômée, en passant par le personnel de nettoyage, les chauffeurs, les employés de la grande distribution les agents de sécurité, etc. Dès lors, difficile de généraliser à propos de la rémunération des salariés en première ligne. Pour autant, les chiffres laissent entrevoir des tendances, pour ne pas dire des réalités du terrain. «On peut pourtant affirmer que dans tous les secteurs économiques, à l’exception de celui de l’enseignement, le salaire moyen des salariés « frontline » (NDLR : en première ligne) est inférieur à la moyenne du secteur», souligne le Statec dans son rapport. Un peu plus loin, le Statec ajoute : «La différence moyenne de 10 % entre les salaires « frontline » et « non frontline » s’explique pour 80 % par des facteurs connus tels que le niveau d’éducation ou encore le type de profession. Alors que 20 % seulement de cette différence reste inexpliquée.»
Autre problème de taille, le manque de consensus à propos de la première ligne. Pour pouvoir prendre des décisions, notamment politiques, il faut pouvoir s’appuyer sur des études basées sur un consensus au niveau international afin de pouvoir faire des comparaisons. Mais cette catégorie étant relativement nouvelle, l’exercice est pour le moment assez difficile, puisque, ainsi que l’indique le Statec, «les définitions et les sources de données peuvent encore varier de manière considérable».

JZ

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