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L’invasion des méga-camions


Pour des raisons de sécurité, l’ancien gouvernement avait interdit la venue de ces méga-camions de 25 mètres de long sur nos autoroutes. 

Des méga-camions pourraient rouler sur certaines routes européennes. Le Grand-Duché est pour l’instant contre la venue de ces mastodontes sur ses axes routiers.

Les eurodéputés pourraient approuver, aujourd’hui, la circulation dans l’UE de «méga-camions» jusqu’à 25 mètres et 60 tonnes : le secteur du fret ferroviaire s’alarme de la concurrence de ces titans des routes, à l’unisson d’élus dénonçant leurs dangers pour la sécurité et l’environnement.

Ces camions à rallonge, composés d’un conteneur auquel s’ajoute une remorque, existent dans une poignée de pays (Suède, Finlande, Pays-Bas, Allemagne…), mais ce texte, voté en séance plénière avant des négociations avec les États membres, pourrait doper leur développement.

La révision législative vise d’abord à favoriser l’essor des poids lourds électriques ou à hydrogène, technologies plus lourdes et volumineuses, en relevant à 44 tonnes (contre 40 actuellement) le poids maximal des camions zéro émission circulant entre pays de l’UE.

Les véhicules diesel bénéficieraient aussi de ce relèvement à 44 tonnes jusqu’en 2034, et pourraient même peser davantage si les États entre lesquels ils circulent le permettent pour les opérations de fret «intermodal» (combinaison train/bateau et route).

Surtout, la circulation de «méga-camions» (jusqu’à 60 tonnes selon les standards européens) serait automatiquement autorisée entre États voisins consentants, sur la base de leurs réglementations nationales. Le Luxembourg s’était opposé à la venue de ces méga-camions sur son territoire déjà en 2017.

Le ministre François Bausch avait alors expliqué qu’il était impossible pour le réseau grand-ducal d’accueillir ce type de mastodonte pour des raisons de sécurité et de fluidité du trafic. Le ministre de l’époque avait aussi pointé du doigt la concurrence avec le fret par le rail, moins gourmand en énergie et plus écoresponsable.

Les adeptes des méga-camions s’appuient sur ces mêmes avantages : économiser consommation de carburant et émissions carbone en transportant davantage en moins de trajets.

Un texte validé mi-février en commission parlementaire Transports au nom du verdissement du fret. «Nous proposons de rationaliser l’usage des méga-camions avec une évaluation de l’incidence sur la sécurité, les infrastructures, l’environnement» et «un label européen», assurait sa rapporteure, l’eurodéputée socialiste Isabel Garcia Munoz.

«Il faut prévenir cette folie»

Pour les acteurs du ferroviaire, cette compétitivité accrue du transport routier fragilisera immanquablement leur développement. «Nous sommes fermement opposés à l’augmentation des poids et tailles des camions non électriques, aux flux transfrontaliers de méga-camions (…) qui circuleraient sans entraves de la Pologne à l’Espagne», lance Sigrid Nikutta, patronne de DB Cargo, géant du fret ferroviaire.

«Cela engorgera nos routes déjà encombrées, mettra sous pression les ponts… L’impact anéantira les gains environnementaux, en encourageant la route, même quand le rail est plus efficace et écologique», s’est-elle agacée devant la presse. Le hub ferroviaire de Bettembourg risque aussi de pâtir de cette initiative.

Selon Bruxelles, ce seul texte contribuerait à réduire d’environ 1,2 % les émissions de CO2 du transport de marchandises sur 2025-2050, et ferait économiser 45 milliards d’euros aux transporteurs sur cette période, grâce à des normes harmonisées et au surcroît de volume acheminé par trajet.

Mais selon le cabinet allemand D-Fine, la législation pourrait divertir vers le transport routier jusqu’à 21 % du fret ferroviaire, entraînant jusqu’à 10,5 millions de trajets supplémentaires en camion par an, soit 6,6 millions de tonnes de CO2 émis en plus. Il pointe aussi le transvasement techniquement compliqué entre méga-camions et trains.

L’objectif européen de doubler d’ici 2030 la part du ferroviaire dans le transport de marchandises, à 30 %, «sera mis en péril», tranche Alberto Mazzola, directeur de la Communauté européenne du rail (CER), influent lobby du secteur.

«Le rail est sept fois plus économe en énergie que la route», soupire Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe (SNCF), dénonçant aussi «les dangers significatifs des méga-camions pour piétons et cyclistes» : distance de freinage rallongée, difficultés à tourner… À Bruxelles, on objecte qu’ils «ne sont généralement autorisés que sur certains grands axes» hors des villes, avec des technologies obligatoires de freinage, contrôle de la stabilité, des caméras…

Reste l’impact de camions alourdis sur les chaussées et ponts : D-Fine prédit 1,15 milliard d’euros de dépenses publiques additionnelles par an pour l’entretien des infrastructures routières, avec «des détériorations disproportionnées : dix camions de 44 tonnes font plus de dommages que quinze de 40 tonnes».

Les acteurs du rail souhaitent réserver les méga-camions aux situations spécifiques où aucune alternative ferroviaire n’existe, et restreindre les segments «route» du transport intermodal. Leurs inquiétudes sont relayées par une soixantaine d’eurodéputés – des Verts et des élus français de tous bords –, cosignataires d’amendements pour supprimer les dispositions sur les «méga-camions».

«Il faut prévenir cette folie, avec trop peu de moyens pour le fret ferroviaire, tandis qu’un bonus serait alloué aux méga-camions massacreurs d’infrastructures», insiste l’eurodéputé écologiste David Cormand. En commission Transports, le texte a cependant été massivement soutenu par les groupes socio-démocrate, PPE (droite) et Renew (libéraux), à l’exception du Français Dominique Riquet.

Le dossier reflétant les sensibilités nationales, «l’équilibre sera précaire» en plénière, reconnaît sa collègue Marie-Pierre Vedrenne.