Alors que l’empire Liberty Steel se délite, menaçant le site de Dudelange, les syndicats plaident pour une prise de contrôle par l’État, le temps de trouver un repreneur fiable.
Près de 250 personnes ont participé, vendredi matin, au piquet de protestation organisé conjointement par les syndicats OGBL et LCGB dans l’enceinte de l’usine Liberty Steel à Dudelange, en signe de soutien aux 220 salariés que compte encore le site, deux ans après son rachat par le groupeindo-britannique.
Plongé dans le marasme depuis la faillite, il y a trois mois, de Greensill, sa principale source de financement, le colosse aux pieds d’argile Liberty Steel pourrait bien emporter dans sa chute le site industriel dudelangeois, qui a notamment servi de garantie lors d’emprunts douteux.
Un dénouement dramatique que les syndicats espèrent encore éviter, en poussant dehors le responsable de cette débâcle et en obtenant l’appui de l’État : «Le LCGB s’en remet totalement au gouvernement, seule alternative possible», a ainsi claironné à la tribune, Robert Fornieri, secrétaire général adjoint du syndicat majoritaire à l’usine de Dudelange.
La délégation du personnel et les organisations syndicales plaident unanimement pour une prise de contrôle étatique, «sous l’égide totale» de la Société nationale de crédit et d’investissement (SNCI), le temps de trouver un nouveau partenaire industriel, «fiable cette fois».
Une issue qui, selon eux, garantirait à la fois les emplois actuels et la construction d’un business plan solide : «Pour l’instant, on ne voit pas d’autre solution, même si nous sommes conscients que cela ne serait que temporaire», précise Robert Fornieri, qui prévient que le temps presse : «Dans ces conditions, on ne passera pas l’été.»
Un paradoxe total, estiment les syndicats, puisque le marché est porteur et que les clients sont là. Mais le manque de liquidités force l’usine à tourner à 20% de sa capacité de production seulement, avec un stock d’approvisionnement quasi nul. En attendant mieux, c’est le système D, certains clients fidèles ayant même «accepté d’acheter eux-mêmes les matières premières» nécessaires.
Tirer les leçons de ce «désastre»
Alors que les trois quarts du personnel sont au chômage partiel, et face à cet effondrement qu’ils avaient prédit, les syndicats ont le sentiment d’un beau gâchis, «presque un dégoût», renchérit le secrétaire général adjoint du LCGB. «Toutes nos inquiétudes initiales sur l’opacité de ces fonds financiers se sont vérifiées», constate-t-il, amer. À la suite de la vente forcée par la Commission européenne en 2019 pour préserver la concurrence sur le marché interne, les difficultés s’étaient, en effet, rapidement accumulées, tout comme les promesses d’investissement non tenues.
«Un bel exemple des dégâts que la finance peut provoquer», commente Robert Fornieri, ajoutant qu’on «n’imagine pas la machinerie extrêmement complexe derrière tout ça, avec des pyramides d’entreprises entre Greensill et les différents sites», un système qui met clairement en péril les emplois.
«Les États et la Commission européenne doivent réagir face à cette machine qui s’emballe», exhorte cet ancien sidérurgiste, appelant chacun à tirer les leçons de ce «désastre». Les syndicats comptent maintenant sur une proposition du gouvernement d’ici juillet, «avec une perspective concrète» pour sauver le site.
Dès le mois d’avril, le ministre de l’Économie, Franz Fayot, très mobilisé sur ce dossier, de l’aveu même des organisations syndicales, avait annoncé à la Chambre des députés que la SNCI travaillait sur différentes options de sortie de crise, à sa demande.
Puis, début mai, précisant que la nationalisation n’était pas envisagée, il s’était dit ouvert à une prise de participations stratégiques de la SNCI en tant que banque publique d’investissement, comme elle l’a fait par le passé en faveur des banques luxembourgeoises lors de la crise financière. À ce stade, toutes les options sont encore sur la table.
Christelle Brucker
«En 34 ans, je n’ai jamais vu ça»
Paul Liomti travaille depuis toujours sur le site de Dudelange : il a débuté sa carrière d’ouvrier au sein d’Ewald Giebel, a connu la fusion avec Galvalange puis ArcelorMittal en 2007, et enfin le rachat par Liberty Steel en 2019.
Perplexe, ce Dudelangeois de 56 ans avoue n’avoir jamais connu pareille situation : «Il y a eu la faillite de Giebel, avec un avocat aux commandes pendant deux ans pour tenter de sauver la société, puis la crise industrielle, ensuite la fusion avec Arcelor… Il y eu des tas de moments difficiles, mais cette fois, c’est différent de tout ce que j’ai connu.»
«J’ai peur que ça finisse mal»
Au chômage partiel depuis plusieurs mois, avec un trou de 20% sur sa fiche de paie, ce père de famille vit dans l’incertitude alors que son revenu est le seul du foyer : «Ce qui est difficile à vivre, c’est qu’on a beaucoup de questions et aucune réponse. On ne sait pas où on va. On se demande tous les mois si on aura notre salaire. C’est une angoisse permanente.»
Par-dessus tout, c’est l’amertume qui domine dans les rangs du personnel car le travail ne manque pas : «Le carnet de commandes est plein, la demande est là, mais on ne peut plus acheter les matières premières nécessaires à la production. On a même dû refuser des clients ! En 34 ans, je n’ai jamais vu ça.»
Pessimiste pour la suite, l’ouvrier craint maintenant de voir fermer ce site industriel vieux de quarante ans qui constitue une grande part de l’identité de sa commune : «J’ai peur que ça finisse mal.»
C.B