La monnaie unique va se dématérialiser. C’est du moins le souhait de la Commission européenne qui a dévoilé son projet. Explications.
La Commission européenne a présenté un cadre législatif pour le futur euro numérique, version dématérialisée de la monnaie unique, un projet qui suscite fantasmes complotistes et hostilité des banques et qui doit encore convaincre de son utilité. La devise électronique ne sera qu’une option de paiement, en complément des espèces. Stockée sur une carte ou un téléphone mobile, elle permettra des paiements en ligne, mais aussi des paiements sans aucune connexion internet qui préserveront autant l’anonymat que le font les pièces et billets.
Qu’apportera-t-il alors que l’argent dématérialisé est déjà couramment utilisé depuis des décennies à travers une multitude de services financiers comme les cartes de crédit et plus récemment des applications mobiles de paiement? «Pour l’instant, l’euro numérique semble être une solution qui cherche un problème» à résoudre, ironise l’eurodéputé allemand Markus Ferber.
La Commission et la Banque centrale européenne (BCE) «doivent encore expliquer de manière convaincante pourquoi nous en avons besoin». L’euro numérique sera «accessible à tous, partout et gratuitement» dans les 20 pays ayant adopté la monnaie unique, a expliqué le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis. Il fournira «une alternative publique» aux moyens de paiements privés, largement dominés par les américains Visa et Mastercard.
«Plus de cent banques centrales à travers le monde travaillent actuellement à l’introduction d’une version numérique de leur monnaie, l’Europe ne peut pas rester à la traîne», a-t-il ajouté. La Chine teste déjà à grande échelle le yuan numérique.
Rendez-vous en 2027 ou 2028
Pour la BCE, la dématérialisation croissante des paiements, notamment avec l’essor du e-commerce, nécessite la création d’un euro électronique, au risque de voir la monnaie unique de plus en plus concurrencée par les cryptomonnaies ou des versions numériques de devises étrangères. L’institution de Francfort a lancé en juillet 2021 une phase d’étude pour fournir ses pièces et billets sous forme électronique à partir de 2027 ou 2028. Elle a annoncé qu’elle déciderait «à l’automne» de la suite à donner au projet, saluant le texte de la Commission qui en fixera le cadre juridique, une fois approuvé par les eurodéputés et les 27 États membres.
L’euro numérique suscite avant tout des inquiétudes alimentées par des campagnes de désinformation. Des internautes affirment sur les réseaux sociaux qu’il viserait à supprimer l’argent liquide pour permettre une surveillance généralisée des citoyens, à travers le contrôle de leurs achats et transactions financières. «Le cash ne disparaîtra pas», a assuré le commissaire européen à l’Économie, Paolo Gentiloni. «Il ne s’agit pas d’un projet Big Brother», a affirmé la commissaire aux Services financiers, Mairead McGuinness, lors d’une conférence de presse à Bruxelles.
«Avec l’euro numérique, la confidentialité des données sera la même que pour les moyens de paiement numériques déjà existants. Avec les paiements en ligne, elle sera même plus élevée.» La devise électronique aura cours légal dans l’ensemble de la zone euro. Mais les très petites entreprises et certaines associations à but non lucratif pourront refuser de le recevoir en paiement, tout comme les particuliers dans le cadre de leurs transactions personnelles, selon le projet de règlementation.
Service universel et gratuit, l’euro numérique pourrait faciliter la vie des quatre millions d’Européens actuellement privés de compte en banque alors que le paiement en ligne devient un besoin fondamental. Le projet «contient de nombreuses avancées positives pour les consommateurs», s’est félicitée Monique Goyens, directrice générale du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC). «Il est grand temps de rompre la dépendance à l’égard des grands systèmes internationaux de cartes de paiements.»
Mais les banques s’inquiètent de possibles pertes de revenus et des risques pour la stabilité financière si les particuliers retiraient massivement les dépôts de leurs comptes courants pour les stocker en euros numériques. Comme les pièces et billets, ils ne seront pas inscrits dans leur bilan. Pour rassurer les établissements financiers, le texte de la Commission prévoit que la BCE «développera des instruments pour limiter l’utilisation de l’euro numérique comme réserve de valeur».
En clair, elle imposera à chaque particulier un montant plafond d’euros détenus sous cette forme. Il pourrait atteindre 3 000 euros, a suggéré en mai un responsable de la BCE. Les utilisateurs «n’auront pas de relation contractuelle avec la BCE», précise encore le texte. L’euro numérique sera distribué par les banques qui pourront l’intégrer dans leurs services existants. «Un euro numérique, s’il est bien conçu, pourrait soutenir l’autonomie stratégique de l’Europe», a estimé la Fédération bancaire européenne, dans un communiqué. Mais «pour protéger les banques du risque de fuite des dépôts (…), il est important de fixer des limites», a-t-elle plaidé.