Les turbulences du secteur bancaire mettent à l’épreuve la détermination de la Banque centrale européenne qui doit trancher jeudi sur une nouvelle hausse des taux d’un demi-point pour combattre l’inflation, mais pourrait être incitée à la prudence.
Plus grosse faillite bancaire depuis la crise financière de 2008, la déroute de la Silicon Valley Bank (SVB) crée un défi supplémentaire pour le pilotage des taux de la BCE, même si les autorités et dirigeants de part et d’autre de l’Atlantique ont fait assaut de déclarations minimisant le risque de contagion.
L’inquiétude est remontée d’un cran mercredi avec la chute sans précédent de l’action du Credit Suisse, géant bancaire helvétique, qui a entraîné dans son sillage les valeurs européennes.
Ce plongeon a commencé après des déclarations du président de la Banque nationale saoudienne, première actionnaire de Credit Suisse, faisant douter de son soutien à cet établissement jugé vulnérable. Ces remous compliquent la décision des gardiens de l’euro qui veulent lutter contre l’inflation persistante sans déstabiliser davantage les marchés financiers.
« Pas indolore »
Jusqu’à récemment, un relèvement de 50 points de base, lors de la réunion de politique monétaire de jeudi, était quasiment acté -puisque la BCE l’avait elle-même annoncé le mois dernier. Mais le scénario d’une hausse d’un quart de point n’est plus exclu désormais par les marchés. La situation « ne devrait pas dissuader la BCE d’augmenter les taux d’intérêt de 50 points de base supplémentaires, en raison de l’inflation obstinément élevée », assure cependant, à l’instar de nombreux experts, Agnese Ortolani, analyste à Economist Intelligence Unit (EIU). Cette décision porterait le taux rémunérant les liquidités bancaires non distribuées en crédit à 3,0%, au plus haut depuis octobre 2008.
Face à l’envolée des prix dans le sillage de l’offensive russe en Ukraine, la BCE a entamé en juillet un cycle inédit de hausses des taux, stoppant près d’une décennie d’argent pas cher. Ce resserrement monétaire à marche forcée, opéré par toutes les grandes banques centrales pour renchérir le coût du crédit et ralentir la surchauffe des prix, a aussi contribué à fragiliser les banques commerciales.
De quoi animer le débat jeudi parmi les banquiers centraux de la zone euro sur le rythme à suivre dans les mois à venir. La tourmente financière prouve que « la hausse des taux n’est pas si indolore qu’il y paraît », redonnant du crédit aux « colombes » prêchant la prudence, souligne Gilles Moec, chef économiste chez Axa.
Les « faucons », qui veulent maintenir le cap, plaideront qu’il n’y pas de risque de contagion vers l’économie et donc « pas d’impact sur le calibrage de la politique monétaire », selon lui. D’autant que la bataille contre l’inflation est loin d’être terminée et met toujours sous pression la BCE.
L’inflation en zone euro a reculé en février pour le quatrième mois d’affilée, à 8,5% en glissement annuel, mais la courbe des prix, hors énergie et alimentation, a grimpé au niveau record de 5,6%. Les nouvelles prévisions d’inflation et de croissance publiées jeudi par l’institution l’aideront à réévaluer la situation.
Pic de taux à 3,5% ?
Il reviendra à présidente de la BCE, Christine Lagarde, de peser chaque mot de sa communication sur l’évolution future des taux. « L’extrême incertitude qui règne aujourd’hui sur le secteur bancaire américain et la réaction des marchés devraient inciter l’institution à davantage de prudence », avance Frederik Ducrozet, chef économiste chez Pictet Wealth Management.
Le niveau du taux de dépôt pourrait atteindre un pic entre 3,5 et 4,% cet été, selon les observateurs, avec plus de probabilité désormais d’atterrir dans le bas de la fourchette. « Le risque pour la stabilité financière » oblige les marchés à « réévaluer la trajectoire des taux à la baisse », selon la banque ING.
La BCE peut aussi lutter contre l’inflation en diminuant le stock de dettes publique et privée et de prêts géants aux banques accumulées dans son bilan. Qualifié d' »aspirateur monétaire » par l’économiste Ludovic Subran, expert chez Allianz, cet outil est particulièrement sensible au moment où les banques européennes ne doivent pas manquer de liquidités et où planent les risques d’accidents financiers.