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Les banques centrales fatiguées de sauver le monde


Le siège de la BCE à Francfort, le 3 septembre 2015. (Photo : AFP)

Condamnées à en faire toujours plus en zone euro ou au Japon, réticentes à normaliser la situation aux États-Unis, les banques centrales, parfois laissées seules en première ligne par des gouvernements ravis de les voir partir au charbon, risquent au final de décevoir, à en croire les économistes.

En conclusion de sa récente interview de l’ancien chef de la Réserve fédérale américaine (Fed) Ben Bernanke, l’éditorialiste vedette du Financial Times Martin Wolf assure que ce dernier a «aidé à sauver les Etats-Unis et le monde d’un désastre» après 2008, et que «l’humanité devrait lui en être reconnaissante».

Pour Christophe Blot, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, les grandes banques centrales ont certes le mérite d’avoir «évité la catastrophe» d’un effondrement financier mondial.

Mais sept ans ont passé depuis la faillite de Lehman Brothers et «les leaders politiques (…) continuent à s’appuyer sur la béquille commode mais vacillante de la politique monétaire», alors même que «l’impuissance (de cette dernière) à doper la croissance et empêcher les pressions déflationnistes est devenue criante», écrivaient récemment Eswar Prasad et Karim Foda, chercheurs du Brookings Institute.

Les héros seraient donc fatigués ? Pourtant, à première vue, le président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi ou la patronne de la Fed Janet Yellen n’ont jamais été aussi puissants.

Aux Etats-Unis, au Japon, en Grande-Bretagne ou en zone euro, les banquiers centraux ont considérablement musclé leur jeu, en mettant les taux à zéro voire moins, en prêtant des sommes gigantesques aux banques. Et surtout en achetant à tour de bras des actifs, la fameuse méthode du «QE» ou «quantitative easing». Le bilan de la Fed est ainsi passé de 900 milliards de dollars avant la crise à 4.500 environ aujourd’hui.

Les banques centrales à l’heure du «bizarre»

Depuis la crise, les banques ont tiré toutes leurs cartouches normales, et «quand le tout-venant ne marche plus, il reste le +bizarre+, et le bizarre monétaire, c’est le QE», explique Alexandre Delaigue, professeur d’économie à l’université de Lille, paraphrasant le film culte «Les Tontons flingueurs».

Dans le film de Georges Lautner, le «bizarre», c’est un alcool artisanal aux effets inconnus et dévastateurs. Dans le monde des banquiers centraux, le «bizarre», ce sont ces injections massives de liquidités et cela donne des résultats variables.

Si la Fed a aidé l’économie américaine à rebondir, la zone euro comme le Japon restent embourbés, au point que leurs banques centrales devraient prendre d’ici la fin de l’année de nouvelles initiatives. Dont rien ne dit qu’elles fonctionneront.

Notamment car les banques centrales courent deux lièvres à la fois à cause de leurs statuts. «En théorie économique, la règle, c’est un instrument pour un objectif. Là on a deux objectifs: l’inflation et la croissance, mais un seul instrument, la politique monétaire», et sans impulsion budgétaire pour l’accompagner, déplore Philippe Waechter, économiste de Natixis Asset Management.

En zone euro, la politique budgétaire vient tout juste de revenir à une situation de «neutralité» pour la croissance après des années de rigueur. Alors qu’aux Etats-Unis, la Fed a été épaulée par une relance massive.

Au Japon, le gouvernement a lancé une machine de guerre budgétaire, mais qui semble arriver trop tard pour tirer le pays de la déflation, ce cycle paralysant de baisse des prix et des salaires.

Pour M. Delaigue, «les banques centrales peuvent en théorie toujours en faire plus, aller dans le +très bizarre+», les prêts directs aux Etats ou le «QE for the people», des virements directs aux citoyens réclamés par le nouveau chef du Labour britannique Jeremy Corbyn.

«Mais alors on arrive dans le champ du politique», souligne l’économiste. «Ne vaut-il pas mieux que de telles décision (de financement et d’endettement) soient prises par des gouvernements plutôt que des gens qui ne sont pas élus?».

Autre question, soulevée par les réticences de la Fed et de la Banque d’Angleterre à normaliser pour de bon leurs politiques, malgré des marchés de l’emploi et des économies robustes: dans quelle mesure les banques centrales sont-elles encore libres de leurs choix? N’ont-elles pas rendu le monde accroc à leurs remèdes «bizarres» ?

Comme le reconnaît M. Blot, «on a un peu l’impression que les banques centrales sont devenues otages des marchés financiers» qu’elles ont abreuvé de liquidités, et qu’elles ne peuvent sevrer sans créer des remous considérables.

AFP/M.R.

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