Les États-Unis se sont opposés vendredi à une OPA chinoise sur le plus grand groupe du Portugal, mettant ainsi un des pays européens les plus ouverts aux investissements chinois en garde contre sa dépendance vis-à-vis de la Chine.
Dans ce contexte de rivalité croissante entre Washington et Pékin, l’ambassadeur des États-Unis à Lisbonne a annoncé que son pays s’opposerait à l’OPA lancée en mai dernier par le groupe étatique China Three Gorges sur l’électricien Energias de Portugal (EDP), la plus grande entreprise portugaise, dont il détient déjà 23% du capital.
Le gouvernement portugais, lui, s’y est dit favorable. « Nous nous opposons totalement à cette opération », déclare l’ambassadeur George Glass à l’hebdomadaire Jornal Economico paru vendredi. « EDP contrôle 80% de l’énergie électrique au Portugal. Du point de vue des États-Unis (…) une entité étrangère ne doit pas détenir votre énergie électrique. Elle doit être contrôlée par la nation ou par des investisseurs privés sous réglementation nationale ».
Leçon d’indépendance ?
Le message, qui ressemble à une leçon d’indépendance, s’adresse à un des pays d’Europe les plus favorables aux investissements chinois. Le Portugal en a eu besoin quand, en 2011, en pleine crise financière mondiale, l’Union européenne l’a obligé à privatiser ses groupes publics en échange d’un prêt de 78 milliards d’euros. Depuis, la Chine a investi non seulement dans EDP mais aussi dans la première banque privée du Portugal BCP, sa principale compagnie d’assurances Fidelidade, le gestionnaire du réseau électrique REN ou encore la compagnie aérienne TAP.
Le Portugal a aussi décidé d’ouvrir son plus grand port, Sines (100 km au sud de Lisbonne), au projet chinois des « nouvelles routes de la soie », un réseau d’infrastructures pour développer les échanges commerciaux de Pékin avec l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Enfin, en décembre dernier, l’opérateur de télécommunications portugais MEO, a signé un accord de coopération avec le géant chinois des télécoms Huawei pour le développement du réseau 5G. Or Washington fait campagne pour convaincre ses alliés des risques d’espionnage par Pékin s’ils utilisent pour leurs futurs réseaux de communication de cinquième génération les équipements de Huawei, les plus avancés sur le marché.
L’expérience de Macao
Lisbonne jusqu’à présent répète imperturbablement qu’il « n’est pas angoissé par l’origine de l’investissement étranger ». « Les Chinois respectent parfaitement notre cadre légal et les règles du marché », déclarait le Premier ministre Antonio Costa au Financial Times début mars. Lisbonne est d’autant plus disposé à coopérer avec les Chinois, relèvent des diplomates, que nombre de dirigeants portugais ont participé aux négociations sur la rétrocession de l’ancienne colonie de Macao à la Chine, finalisée en 1999.
L’Union européenne elle aussi a renforcé ses possibilités de contrôle sur les investissements chinois, mais Lisbonne met en garde ses partenaires contre un protectionnisme qui fermerait son marché aux innovations. Dans ce contexte, l’OPA de China Three Gorges paraît presque anecdotique. CTG n’a toujours pas formalisé son offre de 9 milliards d’euros, jugée trop basse par le conseil d’administration d’EDP. L’ambassadeur américain souligne lui-même que les négociations ne semblent pas « avoir beaucoup avancé ».
L’opération doit être autorisée par l’Union européenne et pourrait buter sur la réglementation qui exige une séparation complète entre les activités de production, distribution et et fourniture d’électricité. En effet, l’État chinois détient déjà une participation importante dans l’opérateur du réseau électrique REN. Mais en tout cas Washington ne permettra pas à CTG de prendre le contrôle des activités d’EDP aux États-Unis, où il réalise 3,3% de son chiffre d’affaires, prévient Goerge Glass. « En aucune circonstance, les Chinois ne contrôleront ce qu’EDP détient aux États-Unis », des dizaines de champs d’éoliennes qui en font un des premiers producteurs d’énergie renouvelable au monde. L’administration américaine, rappelle-t-il, peut contraindre EDP à vendre ses actifs « si China Three Gorges insiste pour continuer ».
LQ/AFP