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L’Allemagne renfloue ses fleurons industriels, l’Europe s’agace


"Tout le monde n'a pas la même marge de manœuvre budgétaire que l'Allemagne", reconnaît l'UE. (illustration AFP)

L’Allemagne dépense tous azimuts pour soutenir ses poids lourds industriels plombés par la crise. Mais la grogne monte parmi ses partenaires européens moins solides financièrement, qui s’alarment d’une concurrence faussée au sein de l’UE.

« À l’heure actuelle, la moitié des aides d’État accordées aux entreprises européennes l’ont été par l’Allemagne », constatait le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, lors d’une discussion récente avec un groupe de journalistes. « Les aides sont données par ceux qui peuvent le faire. Si l’un peut en donner plus qu’un autre, nous sommes en train de fausser les conditions de concurrence. Le marché unique sera fortement affecté par la manière dont les aides d’État seront accordées », mettait en garde l’ex-ministre espagnol des Affaires étrangères. Une situation paradoxale, car en temps normal, l’Allemagne est beaucoup moins encline à subventionner ses entreprises que ne l’est la France de tradition colbertiste.

Mais force est de constater qu’elle devance de loin ses 26 partenaires de l’UE depuis la décision à la mi-mars de la Commission européenne de se montrer plus souple en matière d’aides d’État. Sur un total d’environ 1 900 milliards d’euros d’aides approuvées par Bruxelles, Berlin se taille la part du lion avec 52%, suivie de la France avec 17%, puis de l’Italie avec 16%. Si l’Allemagne injecte 100 milliards d’euros d’aides dans ses entreprises et la France seulement 20 milliards, alors « il y a un risque de divergences sur le marché intérieur », prévenait récemment le Commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, ancien ministre français de l’Économie, dans les colonnes du Handelsblatt, quotidien allemand des affaires.

« Nous voulons que le cadre s’applique de façon uniforme, c’est-à-dire que l’on s’assure qu’il y ait des conditions équitables sur le marché intérieur quand des opérations sont autorisées » par Bruxelles, plaidait une source française. Un haut responsable du gouvernement espagnol va encore plus loin : « L’Allemagne a plein d’argent pour financer ses compagnies dans le besoin. Et comme elle injecte des millions dans celles-ci, le moins que l’on puisse faire c’est de lui demander de se montrer solidaire avec nous ».

« Locomotive pour l’Europe »

Questionnée la semaine dernière par un eurodéputé italien sur les dépenses allemandes, la vice-présidente exécutive de la Commission européenne, la Danoise Margrethe Vestager, en charge de la concurrence, a défendu Berlin. « C’est important que l’Allemagne agisse de la sorte car elle va d’une certaine manière faire office de locomotive pour l’Europe ». Tout en reconnaissant : « ce qui est triste, c’est que tout le monde n’a pas la même marge de manœuvre budgétaire que l’Allemagne, il va falloir trouver des solutions ».

Et de fait, vendredi dernier, la Commission européenne a fixé des conditions strictes aux États européens pour qu’ils recapitalisent leurs entreprises. Parmi elles, l’interdiction de verser des dividendes ou des bonus aux managers. Les entreprises n’auront également pas le droit d’acquérir une participation de plus de 10% dans des concurrents, des fournisseurs ou des clients (tant que l’État conserve au moins 75% des actions acquises en réponse à la crise).

« Tout est fait pour que cette recapitalisation soit la solution de dernier recours », a estimé Eric Paroche, avocat spécialisé dans les affaires de concurrence du cabinet Hogan Lovells. Toute crise peut en effet être une aubaine pour les firmes les plus résistantes : elles peuvent acheter à bas coût des rivaux, ce qui provoque une redistribution des cartes. « Mais avec cette clause, l’entreprise recapitalisée se verra empêcher de jouer un rôle dans la consolidation », a ajouté Eric Paroche.

Ces nouvelles règles surviennent alors que le premier groupe de transport aérien en Europe, l’allemand Lufthansa, discute avec l’État allemand en vue d’une nationalisation partielle et d’une aide de 9 milliards d’euros pour éviter la faillite. Également sur la table du gouvernement allemand, la recapitalisation à hauteur de plusieurs milliards d’euros du groupe ferroviaire Deutsche Bahn.

LQ/AFP