L’industrie de la bière souffre autant que l’Horeca. Frédéric de Radiguès, l’administrateur délégué de la Brasserie nationale, fait le point sur la situation du groupe qui emploie 280 personnes.
Annulation des évènements sportifs, fermeture des bars et des restaurants puis de lourdes restrictions, annulation de la Schueberfouer, télétravail massif… Les brasseurs connaissent une année effroyable depuis le début de la pandémie mondiale. «Au niveau du chiffre d’affaires et de la profitabilité, le choc est énorme. Pour notre groupe, c’est 20 millions d’euros de chiffre d’affaires qui vont disparaître. Le bénéfice sera dans le rouge, le rouge vif, au lieu d’être dans le vert, une première depuis que je suis là», assure en toute transparence Frédéric de Radiguès, l’administrateur délégué de la Brasserie nationale, le brasseur des bières Bofferding, Battin, Funck-Bricher.
L’an dernier, le brasseur affichait un chiffre d’affaires de 79,3 millions d’euros, en croissance de 1,5 % avec un bénéfice avant impôts de 6,55 millions d’euros et 157 600 hectolitres de bière brassés (+2,2 %). Cette année, l’entreprise table sur une perte estimée à 4 millions d’euros.
« C’était une première tant le choc a été extrêmement violent »
En mars, la Brasserie nationale a subi le confinement de plein fouet et a dû s’adapter très rapidement. «J’ai une trentaine d’années d’expérience derrière moi, mais je dois dire que c’était une première tant le choc a été extrêmement violent. En trois jours, nous avons décidé de mettre 65 % des effectifs à l’arrêt. Les 35 % restants sont passés en télétravail, avec une présence minimale, notamment pour la logistique afin de fournir les grandes surfaces avec quatre à cinq camions, contre habituellement 35», explique Frédéric de Radiguès. À noter que sur les 280 salariés du groupe, 180 ont été placés en chômage partiel. Actuellement, plus personne n’est au chômage partiel ni en télétravail.
Au plus fort de la crise, le brasseur – né en 1975 de la fusion de la Brasserie Bofferding fondée par Jean-Baptiste Bofferding en 1842, et de la Brasserie Funck-Bricher fondée en 1764 – s’active dans l’ombre pour aider le secteur Horeca où il compte plus de 2 000 clients professionnels. «Nous avons entrepris des démarches envers les autorités politiques pour protéger notre clientèle afin d’avoir un accompagnement du secteur Horeca en termes d’aides et de subsides. Si nous avons été à l’initiative, il faut surtout féliciter la proactivité du Luxembourg, car celle-ci est loin d’être la même dans les pays voisins», insiste Frédéric de Radiguès.
« Le consommateur est aussi encore frileux »
Pourtant, la situation actuelle n’est toujours pas radieuse, même depuis le déconfinement. «Début juin, avec le déconfinement, on tablait sur une chute de 15 à 20 %. Mais aujourd’hui, dans l’Horeca, nous tournons sur du -40 %», assure le directeur général de la Brasserie nationale. «Dans l’Horeca, la situation reste encore très compliquée. Il faut se rendre compte qu’avec le télétravail ce sont près de 150 000 personnes qui ne viennent pas travailler au Luxembourg tous les jours et qui ne consomment pas à midi et qui ne vont pas dans un bar pour prendre un petit verre», explique-t-il.
Il faut également souligner que les restaurants d’entreprise et les entreprises elles-mêmes commandent moins de boissons, puisqu’il y a moins de présence physique dans les bureaux.
Actuellement, même si les bars et les restaurants accueillent des clients, le volume est encore très loin des niveaux à pareille époque. «Le consommateur est aussi encore frileux et n’ose pas trop sortir et reste chez lui», souligne Frédéric de Radiguès qui y voit pourtant le verre à moitié vide.
En effet, les bières et les autres produits du groupe luxembourgeois, dont l’eau Lodyss depuis cette année, sont également vendus en grande surface ou dans le réseau de vente Munhowen, qui appartient au groupe Brasserie nationale.
L’eau rapporte moins que la bière
Dès lors, si le consommateur n’a pas pris place en terrasse pour y savourer une bière avec modération, peut-être l’a-t-il fait dans son canapé chez lui ? «Pendant le confinement, nous n’avons pas vraiment vu les choses bouger à ce niveau. La catégorie bière n’a pas vraiment profité de cette période-là. Mais à partir du 1er mai, sans savoir ce qui a été le déclencheur, nous avons vu une augmentation de nos chiffres de l’ordre de 20 % dans tout ce qui est consommation à domicile via les grandes surfaces et nos magasins Munhoven.»
Dans le même temps, la Brasserie nationale a également lancé son site de vente ligne, drinx.lu, avec la possibilité pour un particulier d’être livré à domicile. «Le lancement de ce site internet était prévu pour cette année. La crise sanitaire a un petit peu accéléré les choses. Mais effectivement, la vente en ligne fait actuellement un carton. Nous avons une clientèle assez fidèle. Le principe est assez facile. On peut livrer à domicile et on reprend également les vidanges. Finalement, le lancement de notre site de vente en ligne est arrivé au bon moment et connaît le succès», assure Frédéric de Radiguès.
La Brasserie nationale devrait connaître les mêmes volumes de production que l’année dernière, mais à quelques détails près. «En 2019, nous avons brassé 160 000 hectolitres de bière. Cette année, la production de bière va perdre 25 000 hectolitres. Mais d’un autre côté, avec notre nouvelle production d’eau plate et pétillante, nous allons gagner 25 000 hectolitres. Donc au niveau des volumes de production, ce sera la même chose que l’année dernière. Mais un litre d’eau rapporte beaucoup moins qu’un litre de bière», explique Frédéric de Radiguès.
Sans céder à la panique, l’administrateur délégué du groupe assure «que la société, qui est une entreprise familiale, a les reins solides pour traverser la crise actuelle et n’envisage pas de licencier pour faire des économies. Nous allons continuer d’investir, mais nous allons faire un peu plus attention et ne pas faire de folies. Notre objectif est de finir l’année prochaine sans pertes. Si nous y arrivons, ce sera un beau travail. Ce n’est malheureusement pas très ambitieux, mais c’est la réalité. Nous sommes dans un secteur qui souffre. Nous naviguons à vue. Le mois de septembre a été bon alors que le début du mois d’octobre a été catastrophique. Sur les quatre à six premiers mois de l’année prochaine, pour le moment, nous ne voyons pas d’amélioration. Tant que l’on n’a pas une solution contre ce virus, les consommateurs vont rester vigilants et prudents. Je pense que seul le vaccin va permettre une relance réelle de l’Horeca.» Frédéric de Radiguès vise donc un point d’équilibre fin 2021.
Jeremy Zabatta
L’eau de la Brasserie nationale a trouvé son public et a dépassé les objectifs de production en quelques mois.
Frédéric de Radiguès, l’administrateur délégué de la Brasserie nationale, peut en parler pendant des heures : «Elle n’est pas trop typée, au contraire de la Vittel ou de l’Évian, deux eaux au goût plus prononcée. Lodyss est très facile à boire et sa version pétillante est très appréciée, car elle est légèrement pétillante et pas trop piquante, comme disent les enfants. Cette eau ne contient aucun nitrate ni aucun polluant. Elle est composée de moins de 0,3 % d’eau datant de moins de 100 ans. Dans cette nappe d’eau, il y a donc 99,7 % d’eau qui a plus de 100 ans. Cela veut dire que c’est une eau exempte de polluant humain ou de perturbateur endocrinien. Faiblement minéralisée, Lodyss est adaptée à la nutrition infantile.» On le voit : Frédéric de Radiguès est intarissable au sujet de cette eau puisée à 317 mètres de profondeur et qui est également utilisée dans le brassage des bières.
Lodyss, l’eau de la Brasserie nationale, a été lancée et commercialisée le 18 mars dernier, deux jours après le début du confinement décrété par le gouvernement face à la montée en puissance des cas de Covid-19 dans le pays. «Lodyss n’a pas été sacrifiée avec l’arrivée de la crise sanitaire et les investissements autour du lancement de ce nouveau produit ont été maintenus», explique Frédéric de Radiguès avant de souligner les très bons résultats commerciaux obtenus par cette eau : «Nous avions de grandes ambitions et les résultats ont dépassé nos attentes. En 2020, nous serons à 2,5 millions de litres. Cela correspond aux volumes initialement prévus après deux ans d’existence.»
Avec Lodyss, le groupe luxembourgeois a aussi fait le pari de la consigne en verre. En effet, il est impossible de trouver de la Lodyss dans une bouteille en plastique. «L’emballage retour a été un choix fort. Mais en même temps, il correspond à la demande du consommateur. C’est une petite contrainte, mais un choix fort pour la planète. Je pense que la crise sanitaire a également joué un rôle dans le succès de la Lodyss dans la mesure où le consommateur est un peu plus focalisé sur les besoins essentiels et sur une consommation un peu plus responsable. On ne peut pas continuer à polluer notre planète comme on le fait avec le plastique», termine Frédéric de Radiguès.
J. Z.