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Industrie automobile : ingénieurs et techniciens trinquent aussi


En France, la filière automobile est passée de 310 000 salariés en 2004 à 184 000 en 2020. (photo AFP)

Fonte des effectifs, investissements dans des pays à bas coûts salariaux et crainte d’une transition « brutale » vers l’électrique: les salariés français de l’automobile tirent la langue, notamment les ingénieurs et techniciens, entre compressions d’effectifs et impératifs de productivité.

Mi-décembre, Renault annonçait le basculement des essais moteurs thermiques et hybrides réalisés au centre technique de Lardy (Essonne) vers la Roumanie et l’Espagne à partir de 2025. « Ça représente 50% de l’activité du site », s’inquiète Florent Grimaldi, délégué syndical CGT. « 900 salariés sont menacés » sur les 1 900 (dont la moitié de sous-traitants) que compte le centre, d’après lui.

Chez Stellantis, le patron Carlos Tavares a fixé comme objectifs à ses équipes 10% de gains de productivité par an sur les cinq prochaines années, contre 2 ou 3% habituellement. « Ça va taper très fort », s’alarme Hervé Hottois, élu CFDT au centre technique Stellantis de Vélizy (Yvelines). « Depuis 2007, on est déjà sur 2 000 à 2 500 emplois en moins par an », avance-t-il.

La mauvaise santé de l’industrie automobile en France et la transition vers le tout-électrique d’ici à 2035 conduit les constructeurs à réduire les coûts au maximum, déplorent les syndicats.

« Il y a une tendance lourde avec une destruction régulière d’effectifs », reconnaît Tommaso Pardi, sociologue directeur du Gerpisa, un groupe de recherche sur l’automobile. Dans la recherche et développement, l’objectif est de « globaliser les ingénieries afin d’éliminer les frais fixes pour faire face aux cycles économiques », ajoute-t-il. Stellantis a par exemple massivement investi à Kenitra au Maroc, où le coût du travail est moindre. En septembre, l’annonce du recrutement de 3 000 ingénieurs et techniciens supérieurs a choqué en France où les effectifs se rétrécissent.

« Il y a eu des signes très forts récemment : la nouvelle (Citroën) C3 a été entièrement conçue en Inde, l’AMI au Maroc. Avant, tous les nouveaux véhicules passaient par Vélizy ou Sochaux », regrette Hervé Hottois.

Un lourd tribut 

« L’AMI (une petite électrique sans permis) a été développée et fabriquée au Maroc, car on est dans un domaine très concurrentiel. Pour la C3, c’est pareil », justifie un porte-parole de Stellantis. « Nos modèles principaux sont fabriqués en France », rappelle-t-il, citant la 3008 ou la C5 Aircross, des véhicules de gamme supérieure.

Quant aux 3 000 ingénieurs recrutés au Maroc, « il ne s’agit pas d’emplois pour la seule R&D et ce sont des emplois directs et indirects ». Surtout, « comparé aux 8 000 salariés R&D en France, on n’est pas sur la même taille », indique Stellantis.

Pour autant, « il y a très peu d’investissements en France », s’inquiète Hervé Hottois : « On sent bien qu’il y a un pôle marocain au niveau électricité qui est en train de se créer. » « Carlos Tavares dit partout que produire de l’électrique coûte plus cher et qu’il va falloir aller chercher de la performance et de la rentabilité », signale Christine Virassamy, déléguée syndicale centrale CFDT chez Stellantis. « On sent une direction qui veut aller chercher de l’activité dans les pays low cost », décrit-elle.

« La R&D paye aussi le lourd tribut du passage à l’électrique », souligne la déléguée syndicale. Chez Renault aussi la R&D est soumise à l’austérité. Un accord de compétitivité signé en décembre prévoit le départ de près de 1 200 salariés dans l’ingénierie en 2022. En France, la filière automobile est passée de 310 000 salariés en 2004 à 184 000 en 2020, selon les chiffres de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss, désormais Urssaf Caisse nationale).

À l’instar des fournisseurs de plus en plus installés dans des pays à bas coûts sociaux, « il n’est pas dit que l’ingénierie reste sur le territoire français », professe Franck Don, délégué syndical CFTC chez Stellantis. Avec une pyramide des âges vieillissante, de faibles perspectives d’emploi pour les jeunes, il craint de voir « l’industrie automobile devenir comme le charbon ou la dentelle qui étaient de belles activités en France ».