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Freeport Luxembourg: transparent mais pas responsable


Le président du Freeport, Robert Goebbels, et les député européennes Ana Gomes et Evelyne Regner, lors d'une conférence de presse tenue lundi. (Photo: Tania Feller)

Le Freeport Luxembourg dissimule-t-il des pratiques de blanchiment de capitaux et de fraude fiscale? Des eurodéputés, membres des anciennes commissions d’enquête PANA et TAXE, ont posé la question lundi au président du conseil d’administration de la société. Robert Goebbels leur a répondu que le Freeport se contente de louer des locaux, les priant de s’adresser aux douanes, en charge des contrôles.

« Les Freeport offrent des solutions de stockage offshore susceptibles de favoriser le blanchiment d’argent et la dissimulation fiscale»; «Il y a un manque de contrôle des Freeport» : le rapport de la commission d’enquête PANA du Parlement européen, publié le 11 novembre dernier, contient des conclusions qui irritent le président du conseil d’administration du Freeport Luxembourg, Robert Goebbels. Il l’a fait savoir lundi.

Le Freeport Luxembourg, société de droit privée, a ouvert ses portes en septembre 2014. Il est «un petit maillon du hub logistique que le Luxembourg est en train de constituer», a avancé Robert Goebbels au cours d’une conférence de presse commune avec des eurodéputés.
Ces membres des anciennes commissions d’enquête PANA et TAXE, constituées après les révélations des Panama Papers et des LuxLeaks, ont mené depuis 2015 des investigations sur le blanchiment d’argent et la fraude fiscale dans l’Union européenne. Ils avaient notamment dénoncé l’opacité des freeports qui essaiment par milliers à travers la planète. Le Freeport Luxembourg a été créé, entre autres, par Yves Bouvier qui était l’un des principaux acteurs du port franc de Genève (lire ci-dessous).

Un élément incontournable du marché de l’art

Robert Goebbels a déploré que les élus ne soient pas venus visiter le Freeport avant de rendre leur rapport, soulignant qu’il avait adressé une invitation en ce sens au président de la commission PANA, l’eurodéputé conservateur allemand Werner Langen. Pour tenter de les convaincre de la probité de l’entreprise qu’il préside, Robert Goebbels les a conviés lundi matin à un «tour du propriétaire», leur faisant découvrir les 22 000 m2 de ces bâtiments aux allures de Fort Knox, situés à deux pas du Findel.

L’activité commerciale du Freeport Luxembourg consiste à louer des espaces de stockage d’une superficie de 50 à 250 m2 à des sociétés qui en louent à leur tour une partie à de riches clients ou des entreprises pour y entreposer des effets de grande valeur : œuvres d’art essentiellement, mais aussi vins, voitures de collection, bijoux et même des données informatiques. Ces objets peuvent simplement y transiter, y être stockés pour des durées variables ou y être vendus, sans parfois changer de place. Les freeports sont devenus un chaînon incontournable du marché de l’art.

Etats-Unis, Luxembourg et Bogota

C’est donc dans le costume du loueur que s’est présenté lundi Robert Goebbels aux côtés de l’eurodéputée socialiste portugaise Ana Gomes qui s’était montrée particulièrement critique à l’égard du Freeport Luxembourg. En somme, a-t-il expliqué, sa société se contente de louer des espaces et n’est pas informée de ce que ses clients – «une demi-douzaine actuellement» – y entreposent. Mais cela ne signifie pas qu’ils y ont carte blanche.

L’ancien ministre et eurodéputé socialiste a promu les procédures mises en œuvre par le Luxembourg pour faire barrage au blanchiment de capitaux ou à la fraude fiscale : «Tout ce qui entre et qui sort est contrôlé par les douanes dont trois agents sont en permanence affectés au Freeport. Les bénéficiaires économiques sont déclarés et connus.»

Pour appuyer son propos, il a cité les «contrôles réguliers opérés par l’Organisation mondiale des douanes» ou plus récemment «par une délégation des douanes françaises qui nous a félicités pour notre fonctionnement transparent». Pour abonder son propos, il a encore cité un rapport international publié en novembre louant la transparence des ports francs situés aux États-Unis, à Luxembourg et à… Bogota.

«Notre travail n’est pas terminé»

«Il existe des milliers d’entrepôts dans l’UE qui ne sont pas soumis à des contrôles stricts des douanes et qui peuvent servir à des transactions douteuses», a poursuivi Robert Goebbels, notant qu’à sa connaissance aucune infraction n’a été à ce jour signalée par les transitaires qui louent des espaces au Freeport Luxembourg.

Pour conclure, le président de la structure luxembourgeoise a jugé que les réponses aux questions des eurodéputés sur la transparence du port franc sont du ressort des autorités publiques luxembourgeoises.

Ana Gomes, l’eurodéputée socialiste qui était vice-présidente de la commission PANA, s’est dite convaincue et impressionnée… «du haut niveau de sécurité du Freeport et de l’excellence de ses installations», dont un atelier de rénovation d’œuvres d’art. Elle a pris acte des réponses données par Robert Goebbels, promettant que le travail de son groupe «n’est pas terminé».

«Quels sont les processus mis en pratique? Quelles sont les statistiques sur le mouvement des marchandises? Quelles sont les transactions financières opérées au Freeport sans mouvement de marchandises? Ces questions, nous allons les poser aux autorités et en premier lieu aux douanes», a-t-elle assuré avec la pugnacité caractérisant ses interventions. Pugnacité qui semble tant irriter Robert Goebbels.

Fabien Grasser

 

Qui sont les actionnaires du Freeport?

490_0008_14901153_FreeportLe Freeport Luxembourg est constitué de plusieurs sociétés. La première, The Luxembourg Freeport Management, gère et loue les espaces. Cette société n’est cependant pas propriétaire des murs qu’elle loue, moyennant des loyers, à The Luxembourg Freeport Real Estate SA. Ces deux sociétés sont contrôlées à 100 % par Natural Le Coultre Luxembourg SA, quasi homonyme de la société suisse à partir de laquelle Yves Bouvier, l’actionnaire principal, a constitué son empire.

Cette dernière est contrôlée à 100 % par Eurocenter Investment SA. Yves Bouvier serait propriétaire d’au moins 75 % des actions de cette dernière, suivi du «marchand d’art» français Olivier Thomas et de l’homme d’affaires français Jean-Marc Peretti, selon Robert Goebbels qui n’a cependant pas su préciser lundi la structure exacte de l’actionnariat.

 

Des affaires judiciaires préjudiciables à la bonne marche des affaires

Yves Bouvier. (photo DR)

Yves Bouvier. (photo DR)

C’est en 1983 qu’Yves Bouvier avait acheté la société de déménagement genevoise Natural Le Coultre, fondée au XIXe siècle et qui s’était spécialisée dans l’entreposage, l’emballage et le transport d’œuvres d’art et de biens de valeur. Il en avait fait l’un des principaux occupants du port franc de Genève. En octobre 2017, Yves Bouvier, âgé aujourd’hui de 55 ans, a revendu sa société au transporteur français André Chenue SA. Le Suisse vit désormais à Singapour où il a également créé un port franc.

Devenu marchand d’art au fil des ans, Yves Bouvier fait depuis quelques années les choux gras des rubriques judiciaires en raison du contentieux l’opposant à l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev – le patron de l’AS Monaco. Celui-ci le poursuit devant la justice monégasque, l’accusant de l’avoir escroqué de centaines de millions d’euros dans des ventes de toiles de maître portant notamment les signatures de Léonard de Vinci, Rothko ou Picasso. L’affaire aux multiples rebondissements a fini par se retourner contre l’oligarque. Les déboires judiciaires d’Yves Bouvier «ne sont en rien liés aux activités du Freeport Luxembourg», a insisté Robert Goebbels, lundi.

Mais le président reconnaît que ces affaires ont terni la réputation de la société luxembourgeoise qui peine dès lors à décoller. «Les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes», a-t-il dit hier. «Des clients potentiels disent qu’ils préfèrent attendre que les procédures judiciaires soient arrivées à leur terme», a-t-il ajouté. Les bâtiments du Freeport Luxembourg ont coûté quelque 55 millions d’euros et ont été financés par des emprunts bancaires.

La dette de The Luxembourg Freeport Management SA, qui gère le port franc, ne cesse de gonfler. Elle est passée de 320 000 euros en 2013 à plus de 7 millions en 2016, essentiellement dus aux autres entreprises du groupe. Cet endettement est cependant contrebalancé par des créances d’un montant de 4 millions d’euros que lui doivent les locataires du Freeport. Robert Goebbels a soutenu que l’endettement de la société «est en baisse constante».