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Finance durable : le chemin est long


La place financière du pays doit être novatrice, les autres places suivront, estime la société civile. (photo Hervé Montaigu)

Des organisations de la société civile s’érigent contre la stratégie nationale de finance durable, qui n’a tenu compte d’aucune de ses recommandations.

En février dernier, le gouvernement s’était doté d’une entité, la Luxembourg Sustainable Finance Initiative (LSFI), un partenariat public-privé chargé de coordonner, sensibiliser, promouvoir et accompagner la transition du pays vers un financement durable. L’une des missions de la LSFI était de traduire de manière concrète les objectifs qui préfiguraient dans la «Feuille de route du Luxembourg pour une finance durable» (ou «Luxembourg Sustainable Finance Strategy» (LSFS), mise sur pied en 2018.

Une stratégie (très) loin d’être à la hauteur des enjeux sociaux et environnementaux actuels d’après les organisations civiles du pays qui, bien qu’ayant été consultées, n’ont retrouvé aucune de leurs propositions dans le dernier rapport de la LSFI. «C’est un véritable choc, aussi avons-nous décidé de nous regrouper et de faire entendre nos recommandations. La société civile doit être prise au sérieux», a commenté Antoniya Argirova, d’Action solidarité tiers monde (ASTM), au cours de la conférence de presse organisée lundi par plusieurs de ces organisations.

La durabilité… en surface

De nombreuses lacunes ont en effet été mises en avant par les militants à la lecture du document. Quid des problèmes de greenwashing notamment ? Pour la société civile, le manque de définition claire de la durabilité et l’absence de réelles  contraintes constituent à n’en pas douter un risque pour les investisseurs.

Mais elle reproche aussi à la LSFI de ne pas avoir effectué un état des lieux du secteur financier : où vont précisément les investissements ? À quels risques la place financière et l’économie tout entière du pays sont-elles exposées ? Car sans analyse préalable, comment développer une stratégie ? «Cette absence de stratégie de la place financière pour minimiser les risques liés aux investissements dans des entreprises à forte empreinte carbone a d’ailleurs été pointée du doigt il y a quelques jours par la Banque centrale luxembourgeoise», indique Martina Holbach, de Greenpeace.

Autre reproche émis par les organisations : l’absence de prise en considération des droits humains dans les investissements, ainsi que le choix de partenariats douteux et de mesures contestables pourtant censées favoriser le développement durable.

Pourtant, la volonté est là

Marine Lefebvre cite à cet égard l’exemple du fonds «vert» ABC, censé aider les agriculteurs en Afrique. Si le projet a tout bon sur le papier, difficile d’en dire autant dans sa mise en œuvre : «Déjà, le partenariat de la Coopération luxembourgeoise avec l’alliance AGRA, épinglée par plusieurs études pour son absence de résultats positifs – au contraire – est questionnable. En outre, on constate que le fonds privilégie plutôt les cultures d’exportation et un mode de production agricole intensif, avec fourniture d’engrais et de pesticides. L’argent n’est pas investi dans l’agroécologie. On impose aux paysans un modèle de développement qui n’est pas celui qu’ils désirent et vers lequel il faut pourtant aller, tant pour l’environnement que pour la souveraineté alimentaire.»

Des manquements d’autant plus regrettables pour les militants que se tourner vers la finance durable n’est désormais plus une option : «Nous n’avons pas le choix de passer à une finance durable», exprime Antoniya Argirova. D’ailleurs, continuer à investir largement dans des énergies présentant une haute empreinte carbone, comme les énergies fossiles – ce que le Luxembourg n’a cessé de faire ces dernières années –, constitue un risque : «L’exemple le plus évident, c’est l’industrie du charbon, qui doit disparaître d’ici 2030. Tous les investissements dans cette industrie représentent un risque puisque, d’un moment à l’autre, ces entreprises n’auront plus de valeur», explique Martina Holbach.

Pourtant, la volonté d’investir de manière verte existe. «Chez Greenpeace, nous recevons chaque semaine des appels de personnes souhaitant savoir où investir en ce sens, mais pour l’instant, je ne peux recommander aucun fonds. C’est bien trop opaque et il n’y a pas de contraintes suffisantes.»

Tatiana Salvan

Quand le Luxembourg finance la mine de Las Bambas

Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des financements opérés récemment par le Luxembourg sans tenir compte d’aucun critère de durabilité malgré son engagement : en août 2019, la branche luxembourgeoise de la banque ICBC (Industrial and Commercial Bank of China) a accordé un prêt de 175 millions de dollars à l’entreprise chinoise Minerals and Metals Group (MMG) qui exploite la 9e mine de cuivre au monde, Las Bambas, au Pérou. Un prêt accordé en dépit des contestations sociales (sévèrement réprimées) dont cette mine fait l’objet depuis 2015. En effet, comme le rappelle Antoniya Argirova, l’exploitant minier a, de manière unilatérale, décidé de modifier le mode de transport des substances dangereuses. Celles-ci devaient originellement passer par un pipeline, mais sont finalement évacuées quotidiennement par des centaines de camions circulant sur des routes inadaptées, engendrant de fait davantage de pollution mais aussi des déversements toxiques sur les sols et dans les cours d’eau en raison de nombreux accidents.