La justice européenne a validé mercredi, dans un arrêt très attendu, un dispositif liant le versement des fonds de l’UE au respect de l’Etat de droit, infligeant un revers à Budapest et Varsovie qui sont menacés par ce nouveau « régime de conditionnalité ».
La CJUE, dont la décision était pour la première fois retransmise en direct sur son site, a suivi l’avis de l’avocat général et rejeté les recours en annulation introduits par la Hongrie et la Pologne contre ce règlement.
« Ce mécanisme a été adopté sur une base juridique adéquate » et « respecte les limites des compétences attribuées à l’Union ainsi que le principe de sécurité juridique », indique notamment la Cour dans un communiqué.
La Pologne a aussitôt dénoncé une « attaque contre (sa) souveraineté ». La Hongrie, par la voix de sa ministre de la Justice Judit Varga, a fustigé une « décision politique » liée à la loi sur l’homosexualité adoptée cet été à Budapest, très critiquée au sein de l’Union européenne.
Berlin s’est à l’inverse félicité d’un arrêt qui « renforce notre communauté de valeurs ».
L’approbation par la justice de cet instrument inédit va accroître la pression sur la Commission, chargée de l’activer. L’exécutif européen avait accepté, en accord avec les Vingt-Sept, d’attendre l’avis de la Cour avant d’agir, alors que le règlement est en vigueur depuis le 1er janvier 2021.
« Détermination »
« Nous agirons avec détermination », a assuré sa présidente, Ursula von der Leyen dans un tweet, en saluant la décision de la Cour.
Depuis des mois, le Parlement européen s’impatiente. Il a même engagé un recours pour inaction contre la Commission.
Poussé à l’action, l’exécutif européen avait envoyé en novembre des lettres à la Pologne et la Hongrie exposant à nouveau ses critiques sur le respect de l’État de droit dans ces deux pays de l’ex-bloc de l’Est.
Côté hongrois, la Commission a évoqué des problèmes relatifs à la passation de marchés publics, des conflits d’intérêts et la corruption. Concernant Varsovie, sont visées les atteintes à l’indépendance des juges et la remise en cause de la primauté du droit européen et des décisions de la CJUE.
« Le Parlement européen attend désormais de la Commission qu’elle applique rapidement le mécanisme de conditionnalité », a réagi la Maltaise Roberta Metsola (PPE, droite), présidente de cette assemblée où doit se tenir un débat sur la question dans l’après-midi. « Les valeurs comptent, et les citoyens ont le droit de savoir comment les fonds communs sont utilisés », a-t-elle ajouté.
L’eurodéputée française Fabienne Keller (Renew Europe) s’est réjouie d’une « victoire majeure »: « l’Europe se dote enfin d’un levier puissant et concret pour sanctionner les leaders populistes qui veulent mettre au silence tous les contrepouvoirs de notre modèle démocratique », a-t-elle estimé.
« Dernière excuse »
« Avec ce jugement, la toute dernière excuse pour que la Commission européenne ne fasse rien tombe », a tweeté l’eurodéputé Daniel Freund (Verts).
Mais le déclenchement d’une telle procédure pourrait prendre des semaines, voire plus. La Commission veut encore finaliser des « lignes directrices » pour la mettre en œuvre. Et le déroulement le 3 avril d’élections législatives en Hongrie où le Premier ministre souverainiste Viktor Orban fera face à une alliance de l’opposition, complique la donne, Bruxelles craignant d’être accusé d’ingérence.
Le règlement permet de priver de fonds européens un pays où sont constatées des violations de l’État de droit qui « portent atteinte ou risquent de porter atteinte » aux intérêts financiers de l’UE, « d’une manière suffisamment directe ». Une éventuelle suspension ou une réduction des paiements doit être endossée par au moins 15 États membres sur 27.
Le mécanisme s’applique aux fonds versés dans le cadre du budget européen, qui constituent des sommes conséquentes pour ces deux pays -ils figurent parmi les principaux bénéficiaires nets des fonds européens-, ainsi qu’aux plans de relance post-Covid. Ceux de la Pologne et de la Hongrie n’ont toujours pas été approuvés.
Issu d’un difficile compromis intervenu en 2020, ce « régime de conditionnalité » était réclamé par plusieurs États membres dont les Pays-Bas pour protéger les finances de l’UE.
Parmi les instruments à disposition de l’UE pour lutter contre les atteintes aux principes démocratiques, il pourrait s’avérer le plus efficace. La procédure de l’Article 7 du traité sur l’UE, déclenchée contre la Pologne et la Hongrie, permet de sanctionner un pays pour non-respect des valeurs de l’UE. Elle peut aller jusqu’à le priver de son droit de vote au Conseil, mais s’est révélé en pratique impossible à mener à terme.