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[Dossier] Carburants : la fin des prix bas


Est-ce la fin des carburants bon marché? La récente décision de l’OPEP devrait faire grimper les prix, même si elle n’inquiète pas tout le monde au Luxembourg.

Depuis plus d’un an, le diesel est en dessous d’un euro le litre, et le super n’est guère plus élevé. Mais la récente décision de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) de réduire sa production ne sera pas sans conséquences, même si certains experts y voient un nécessaire rééquilibrage.

Si le passage à la pompe reste toujours douloureux, rappelons-nous des sommets atteints en 2008, lorsque le baril de brut dépassait les 140 dollars… Depuis quelques années, avec un prix du baril presque trois fois moindre, les carburants sont redevenus bon marché.

La raison principale de ces prix bas est «la non-coïncidence entre l’offre et la demande : d’un côté, il y avait une surproduction, et de l’autre, une conjoncture à la baisse, avec notamment une baisse de la consommation pétrolière en Chine», explique Henri Wagener, le secrétaire du Groupement pétrolier luxembourgeois (GPL).

Mais 2016 a marqué une rupture, complète Guy Ertz, responsable stratégie d’investissement chez BGL BNP Paribas : «La première partie de l’année 2016 a été marquée par une réduction de l’activité des producteurs pétroliers ayant les coûts de production les plus élevés – principalement les producteurs de pétrole de schiste aux États-Unis – et par des perturbations dans la production de pays faisant face à des instabilités politiques.» Si bien que «sous l’impulsion de l’Arabie saoudite, les membres de l’OPEP ont récupéré leurs parts de marché. En effet, la production des pays de l’OPEP a atteint de nouveaux records, alors que celle des pays non-membres se contractait.»

Ce repli de la production et des investissements a «favorisé le rééquilibrage du marché mondial et a permis aux prix du pétrole de rebondir depuis les points bas du début d’année aux alentours de 30 dollars le baril pour atteindre 45 dollars le baril.»

Jusque-là, rien de bien grave pour nos portefeuilles… Mais en septembre dernier, patatras : les pays de l’OPEP ont décidé de réduire leur production d’or noir, afin de soutenir des prix affaiblis par une offre excédentaire (lire par ailleurs).

Une décision qui a pris de court beaucoup de monde, y compris au GPL : «Nous étions un peu surpris, car ces derniers temps l’OPEP avait eu du mal à s’accorder sur une position commune», explique Henri Wagener.

«Cette décision n’était pas totalement attendue, ajoute Guy Ertz. En effet, le prix a rebondi assez fortement après l’annonce, ce qui a poussé le prix du Brent au-dessus de 50 dollars.»

Un potentiel de hausse limité

Reste la question principale : cette hausse va-t-elle se poursuivre, pour rejoindre les sommets atteints en 2008? Pas dans l’immédiat, poursuit Guy Ertz : «Dans les prochains mois, le potentiel de hausse sera toutefois limité. En effet, la production de pétrole de schiste aux États-Unis est assez flexible et si le prix dépasse 55 dollars, beaucoup de producteurs redeviendront rentables. L’augmentation de l’offre qui en résulterait aurait un effet stabilisateur sur le prix.»

Si elle est respectée, la décision de l’OPEP devrait donc «permettre à l’offre et à la demande de s’équilibrer au début de l’année prochaine. Le pétrole devrait rester dans la zone comprise entre 45 et 55 dollars par baril.»

Une stabilisation qui «devrait permettre à l’inflation européenne et luxembourgeoise de s’accélérer progressivement à partir des niveaux extrêmement bas des dernières années, avance Guy Ertz. Ceci pourrait alors réduire le risque de déflation qui a pesé sur la confiance des consommateurs et investisseurs.»

Et qui dit inflation dit… index! Le carburant est en effet un des critères clés qui déterminent l’arrivée d’une tranche indiciaire, attendue depuis des mois…

Romain Van Dyck

Stations-services : «Ça nous inquiète»

Paradoxalement, une hausse des prix plomberait le moral des stations-services.

Les prix remontent à la pompe... (photo Alain Rischard)

Les prix remontent à la pompe… (photo Alain Rischard)

« Oui, ça nous inquiète, car déjà sans cette hausse, nos volumes de vente de carburant étaient en recul», explique Roland Clerbaut, le président de la Fédération des exploitants de stations-services (on en compte près de 240 au Luxembourg).

Et de rappeler que ce recul n’est pas lié aux prix, puisqu’ils étaient justement en recul ces dernières années. Il pointe plutôt la baisse de consommation des véhicules, mais aussi la baisse de fréquentation des poids lourds, qui contournent le pays à cause de l’Eurovignette. Ou encore le fait que «le Luxembourg tarde un peu à rembourser la TVA aux transporteurs».

Dans ce contexte, la hausse des prix n’arrangerait pas ses affaires. «Plus les prix vont grimper, moins on va gagner. Parce que le volume baisse, et parce qu’on est rémunéré au litre. Donc notre marge au litre reste la même, que les prix augmentent ou baissent.»

Faut-il plaindre les stations-services?

Cette marge est fixée par le ministère de l’Économie, si bien que tous les ans, la fédération des stations-services doit introduire un dossier pour défendre ses intérêts. «En général, on n’obtient pas ce qu’on demande. La dernière hausse était de 0,5 euro par m3, ce qui ne suffit pas à répercuter la hausse de nos frais.»

De plus, «vu que 80 % des carburants sont payés par des cartes de crédit, nos frais liés à ces transactions par carte vont augmenter avec la hausse des prix».

Malgré tout, les stations-services ne sont pas trop à plaindre, non? «C’est vrai qu’on voit rarement des faillites. Par contre, je rappelle qu’investir dans une station au Luxembourg coûte cher, près de deux fois plus qu’à l’étranger, à cause des frais, des prix des terrains, etc. Mais il est certain que grâce à la vente de cigarettes, on vit mieux. Car si on ne devait vivre que du carburant, les stations ne marcheraient pas.»

R. V. D.

OPEP : surprise !

Coup de théâtre à Alger, le 28 septembre dernier : les pays de l’OPEP sont parvenus à un accord «historique» pour réduire leur production d’or noir à un niveau de 32,5 à 33 millions de barils par jour, contre 33,47 millions de barils par jour en août.

Depuis près d’un an, l’abondance de pétrole avait conduit à une baisse durable et historique du prix du baril de brut. La décision-surprise de l’OPEP représente la plus grosse réduction de production depuis celle décidée après la chute des cours durant la crise de 2008. Le but est simple : soutenir des prix durablement affaiblis par une offre excédentaire.

Les prix à la pompe ont d’ailleurs déjà commencé à remonter de quelques centimes. Mais tout dépend encore de la mise en œuvre concrète de l’accord, dont les modalités seront discutées lors du sommet de l’OPEP du 30 novembre prochain à Vienne.

Mais la Banque mondiale revoit déjà à la hausse ses prévisions pour 2017, tablant que les prix de l’énergie, incluant le pétrole, le gaz naturel et le charbon, devraient bondir de pratiquement 25 % au cours des 12 prochains mois, avec un prix du baril qui repasserait durablement au-dessus des 50 dollars.

Baisse du marché luxembourgeois

«Depuis près de trois ans, le maché pétrolier régresse au Luxembourg», constate Henri Wagener. En cause principalement, «le manque de compétitivité du diesel luxembourgeois par rapport au diesel belge», qui, grâce à un système de remboursement d’une partie de l’accise pour les professionnels, arrive à proposer des prix proches, voire inférieurs aux prix luxembourgeois.

Le GPL s’inquiète aussi du fait que le Luxembourg soit un des seuls pays à pratiquer encore l’Eurovignette, contrairement à la Belgique qui a introduit un système de péage autoroutier. En y ajoutant le problème de congestion routière, le GPL craint que le Luxembourg devienne moins attractif, au point que les routiers préfèrent contourner notre pays.

Gare aux taxes

Selon Roland Clerbaut, le gouvernement a commandé une étude visant à déterminer «jusqu’où il peut augmenter les taxes sur les carburants sans diminuer les recettes».

L’objectif serait de faire diminuer le tourisme à la pompe, pourvoyeur de trafic et de pollution, en le compensant par une hausse des rentrées fiscales. «C’est une étude qui est apparemment achevée. On aimerait bien y être associé, car vous imaginez bien l’impact. Le dindon de la farce, ça sera nous, les stations-services, puisqu’on vendra moins, et le consommateur luxembourgeois, puisqu’il devra payer plus cher à la pompe.»

Au Luxembourg

PLUS D’UN MILLIARD

En 2015, les recettes des accises relatives aux produits pétroliers se chiffraient à 848 millions d’euros. En ajoutant la TVA et les droits de concession sur les stations-services, les retombées globales dépassent le milliard d’euros.

VOLUMES EN BAISSE

Depuis 2012, la consommation de carburant est en baisse. En 2011, elle était de 2 716 kilotonnes d’équivalent pétrole (ktep), puis a reculé les années suivantes : 2 585 en 2012, 2 546 en 2013, 2 499 en 2014, et 2 420 en 2015.

PRIX EN HAUSSE

En 2012, le prix des carburants avait rejoint les sommets (diesel à 1,32 euro/l, le S95 à 1,48 euro/l), avant de décliner les années suivantes. Début 2016, le diesel était à 0,88 euro/l, le S95 à 1,07 euro/l. Hier, le diesel était à 0,98 euro, et le S95 à 1,14 euro.

LES FRONTALIERS

En 2015, les routiers non-résidents consommaient à eux seuls 1 644 ktep en 2015, soit près des deux tiers des consommations de carburant.

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