Airbus va pouvoir tourner la page, mais au prix fort: des tribunaux français, britannique et américain doivent valider vendredi les accords que l’avionneur a conclus afin d’éviter des poursuites pour des faits présumés de corruption et pour lesquels il a provisionné 3,6 milliards d’euros.
L’affaire faisait peser depuis 2016 de lourdes menaces pour l’avionneur européen, dont celle d’une interdiction d’accès aux marchés publics. Elle a précipité le changement de l’équipe dirigeante et ébranlé le fonctionnement interne du groupe aux 134 000 salariés. Airbus avait annoncé mercredi avoir trouvé un « accord de principe avec le Parquet national financier français, le Serious Fraud Office britannique (SFO) et les États-Unis » qui enquêtaient conjointement sur des « irrégularités » portant notamment sur les agents commerciaux intervenant dans les contrats de ventes d’avions. À ces « accusations de corruption » s’ajoutent pour les États-Unis des « déclarations inexactes faites aux autorités américaines en vertu du règlement américain sur les exportations de matériel militaire » (Itar), selon l’avionneur qui provisionnera 3,6 milliards d’euros dans ses comptes de l’exercice 2019 pour le paiement d’amendes si ces accords sont confirmés.
Une collaboration avec les autorités judiciaires
À Londres, l’audience d’homologation de l’accord de « suspension des poursuites » (« Deferred Prosecution Agreement ») se tiendra à 15H00 (locales et GMT). Elle aura aussi lieu dans la journée aux États-Unis et sera soumise en outre à l’approbation de l’administration américaine. Pour la France, l’audience de validation de l’accord, une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), doit se tenir à 14H00 (13H00 GMT) devant le tribunal judiciaire de Paris, selon le Parquet national financier (PNF). En cas de validation de la CJIP, Airbus disposera d’un délai de rétractation de 10 jours puis devra s’acquitter de l’amende. Depuis l’entrée en vigueur de cette procédure en 2017, le PNF a conclu cinq accords de ce type, notamment avec les banques HSBC et Société Générale, pour un montant total de 1,08 milliard d’euros d’amende.
La pénalité, qui ne vaut pas reconnaissance de culpabilité, devrait donc engloutir une partie des profits d’Airbus qui avait dégagé un bénéfice net de 3,1 milliards d’euros en 2018 et présentera ses résultats annuels le 13 février. Mais elle permet au groupe de laisser cette affaire derrière lui, tandis que son concurrent Boeing reste empêtré dans la crise du 737 MAX qui lui a coûté 18,4 milliards de dollars à ce stade. L’affaire est née de l’auto-dénonciation d’irrégularités en 2016 par le patron de l’avionneur à l’époque, Tom Enders, auprès du SFO. Le groupe voulait se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites, notamment américaines, en collaborant avec les autorités judiciaires. Cette stratégie a été éprouvée par le motoriste britannique Rolls-Royce, qui a été condamné début 2017 à verser une amende de 763 millions d’euros aux autorités judiciaires britanniques, américaines et brésiliennes afin de solder une affaire de corruption à l’étranger après avoir lui-même dénoncé les faits au SFO fin 2012.
Des enquêtes depuis 2016
En 2014, les services de conformité d’Airbus avaient commencé à mettre au jour des « inexactitudes et des omissions concernant les informations fournies » aux agences d’assurance-crédit à l’exportation britannique, française et allemande pour qu’elles garantissent certains contrats, selon Airbus. L’avionneur avait notamment relevé qu’un certain nombre de transactions effectuées par une entité interne, baptisée Strategy and Marketing Organization (SMO), n’étaient pas conformes. La SMO, qui était chargée de gérer les intermédiaires dans les contrats avec certains pays, a depuis été dissoute.
Le SFO britannique et le PNF avaient ouvert leur enquête à l’été 2016, suivis l’année suivante par le ministère américain de la Justice (DoJ). Parallèlement, la justice américaine soupçonnait Airbus de n’avoir pas obtenu les autorisations nécessaires pour exporter des armements contenant des composants américains. Pour faciliter les négociations, le groupe avait décidé fin 2017 de remanier sa direction. Le patron de la branche aviation civile Fabrice Brégier a ainsi quitté ses fonctions en février 2018 et Tom Enders été remplacé en avril 2019 par Guillaume Faury. Les dirigeants potentiellement impliqués dans l’affaire ne sont pas protégés d’éventuelles poursuites.
AFP/LQ