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ArcelorMittal : incursion dans l’antre sacré de Belval


On voit moins d'ouvriers qu'au temps des haut-fourneaux à Belval (jusqu'à 7 500 sidérurgistes dans les années 60!). Mais le bruit des laminoirs et l'atmosphère surréaliste du feu sont toujours présents. (photos François Aussems)

À l’occasion de ses vœux, ArcelorMittal a ouvert son usine de Belval pour une petite visite privée, sans restrictions de photos. Un moment suffisamment rare pour qu’on le partage largement. Alors, que produit-on dans ce temple sacré de l’acier, debout depuis 1911? Quelles sont les perspectives? Plutôt engageantes, comme en témoignent les millions d’euros investis.

Les Eschois restent attachés à leur usine, qui n’est plus la mère nourricière d’antan, mais dont la réputation mondiale se confirme. Belval ne crache plus ses milliers d’ouvriers, à vélo ou à pied, tels des personnages de BD de Baru, le dessinateur de Villerupt. On peut le regretter. Par nostalgie et parce que tout le monde avait du boulot. Et pourtant… La filière de l’acier du Grand-Duché, de haute technologie et de pointe, est plus combative que jamais.

ArcelorMittal a réalisé une année 2015 inespérée, dans un contexte de surcapacité de production mondiale tendu  : 2,2 millions de tonnes d’acier sorties des cinq sites du pays. Le groupe mise sur l’innovation, notamment à Belval, « avec un investissement record depuis dix ans », salut Roland Bastian, le directeur du site. Trente-cinq millions d’euros rien que pour une machine. Un monstre rouge (à ce prix-là, on choisit la couleur…) dont les huit cylindres redressent n’importe quel acier comme de la pâte à modeler! Cela valait bien une visite…

ArcelorMittal a ouvert les portes de son usine de Belval, leader dans son secteur. (photo François Aussems)

Le 13 janvier dernier, ArcelorMittal a ouvert les portes de son usine de Belval, leader dans son secteur. (photo François Aussems)

Le site de Belval se situe à l’entrée ouest d’Esch-sur-Alzette. Qu’y produit-on? Au portail, le monument élevé en l’honneur de Jean-Paul II, seul pape à avoir visité le Luxembourg (1985), résume tout  : des parois en acier appelées «palplanche», que l’on module à volonté! Belval produit également des poutrelles, mais sans égaler le haut de gamme differdangeois. « Ils font de l’acier ultrarésistant là-haut , salue le directeur de Belval. Leur record de longueur est de 60 mètres. » De quoi séduire les architectes du monde entier. Le saviez-vous? La très attendue tour de Park Avenue, qui doit émerger à New York en 2018, sera réalisée avec de l’acier de Differdange!

Le monument en l'honneur de Jean-Paul II, venu à Belval en 1985. Les mêmes palplanches isolent les routes et les ports du monde entier! (photo Isabella Finzi)

Le monument en l’honneur de Jean-Paul II, venu à Belval en 1985. Les mêmes palplanches isolent les routes et les ports du monde entier! (photo Isabella Finzi)

Revenons à Belval. Le produit star est donc la palplanche. Ces parois de 80 cm de large s’emboîtent comme des Meccano, pour renforcer n’importe quelle structure. On les retrouve dans les ports industriels (isolation contre l’eau), dans les constructions de pont maritime (coffrage pour bâtir les pieds), dans l’étanchéité des berges de nombreux fleuves d’Europe, ou tout simplement dans le soutènement le long des routes, comme entre Longwy et Esch-sur-Alzette. Oui, ces grandes parois rouges sont «made in Belval», pensez-y le matin dans votre voiture!

Leader mondial  dans son domaine

Belval écrase littéralement la concurrence sur les palplanches. Au niveau mondial, aucun constructeur n’est capable de livrer des pièces d’aussi bonne qualité d’acier. Au niveau européen, le seul concurrent valable a mis la clef sous la porte l’an dernier. Il était localisé à Dortmund. Autant dire qu’il y a désormais un boulevard économique pour Belval. « L’équation n’est pas si simple, tempère Roland Bastian. Notre principal concurrent est en réalité le béton, notamment sur les chantiers. À nous de prouver que la palplanche est meilleure. » Plus économique sur le long terme (on peut déplacer une palplanche à volonté), plus pratique pour avancer rapidement sur un chantier (Belval peut livrer dans la journée!) et, in fine, bien moins polluante.

Lire aussi : Moral d’acier chez ArcelorMittal Luxembourg

 

En effet, le site de Belval produit ses palplanches à partir d’acier 100% recyclé, moins nocif donc que la cimenterie traditionnelle. Ces tonnes d’acier en attente de recyclage sont entreposées sur le site, dans un grand fatras.

De l’os de chien à la belle planche…

La première étape consiste à fondre l’acier récupéré dans un four électrique, à plus de 1 500 degrés. L’acier sort en «coulée continue». L’image rappelle immanquablement les halls de haut-fourneau d’antan  : une lave rouge que seul Vulcain semble pouvoir dompter. Cet acier est ensuite renforcé par l’ajout de matières secrètes. Le produit semi-fini –  dit «os de chien»!  – mesure six mètres de long et ressemble effectivement à un os… que vous ne donneriez pas à votre chien.

L'acier est étiré, atteignant parfois cent mètres de long!

L’acier est ensuite étiré, atteignant parfois cent mètres de long!

Puis commence un long circuit vers la palplanche. L’os passe dans un four à 1 200 degrés pour être allongé. Il subit un traitement dans quatre cages de laminage. Le bruit est dingue. Écrasé entre les cylindres, l’os de chien s’étire et prend la forme striée des parois. Ce dessin en «Z» assure une bonne répartition de la pression de l’eau (ou de la terre) une fois la palplanche en place. En bout de chaîne, la palplanche peut mesurer jusqu’à cent mètres de long! Évidemment, aucun constructeur n’a besoin de pareilles dimensions. Surtout, le transport serait impossible. La palplanche passe donc à la découpe, selon les désirs du client, un peu comme chez le boucher.

Puis vient l’étape ultime, qui a mérité les fameux 35  millions d’euros d’investissement  : le redressement de la palplanche. L’acier passe à travers huit cylindres dans un vacarme de tous les diables. La redresseuse est capable de donner la droiture souhaitée, même aux pièces les plus longues! Les palplanches sont prêtes à partir dans le monde entier.

La nouvelle redresseuse d'acier (35 millions d'euros), symbole d'un esprit d'innovation puissant.

La nouvelle redresseuse d’acier (35 millions d’euros), symbole d’un esprit d’innovation puissant.

Qui achète de la palplanche, au juste? Soixante pour cent de la production reste en Europe, 40  % part dans le monde. Les premiers clients sont les Pays-Bas, où la lutte contre la montée des eaux reste une priorité. Sans compter la présence de ports importants, comme Rotterdam. L’Allemagne, pays industriel s’il en est, est également un gros consommateur.

La France moins, pour des raisons esthétiques semble-t-il. Bizarre pour un pays qui a choisi l’acier (la tour Eiffel, fabriquée avec le fer lorrain) comme emblème. Tiens, on lance un défi aux voisins  : une autre tour en palplanche de Belval pour leurs  futurs JO… On l’appellera la tour «Eschfel»!

Hubert Gamelon

Des rangées de cylindres sont disponibles sur le site, car l'usure est rapide dans le laminage.

Des rangées de cylindres sont disponibles sur le site, car l’usure est rapide dans le laminage.

ArcelorMittal : cinq sites de production au Grand-Duché…

•  Belval, dont le produit phare est la palplanche.

 Differdange, dont le produit phare est la poutrelle d’acier haut de gamme (building, etc.).

•  Dudelange, dont le produit phare est l’acier Usibor (comme à Florange) à destination de l’automobile.

•  Bissen, dont les produits phares sont le fil et la fibre d’acier. Le fil permet de réaliser du grillage ou, plus sympathique, du fil pour les vignobles! Bissen a battu des records de vente en 2015.

•  Rodange  : la production est relancée, notamment pour le rail de tramway.

 Bettembourg  : le site ferme, les employés seront recasés dans le groupe.

 Schifflange  : le site est en état de mort clinique. Arcelor négocie les terrains avec l’État.

… Jusqu’à quand ?

Lors de chaque crise, l’acier luxembourgeois a su se réformer à temps. Avec la crise écologique, les paramètres sont différents  : l’industrie du fer n’est plus maîtresse de son destin.

Alors que l’Union européenne s’est engagée à réduire ses gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030, la Chine (comme d’autres pays émergents) ne s’est engagée qu’à atteindre son pic de pollution à la même date. « Je le déplore , lâche Alex Nick, responsable d’ArcelorMittal Luxembourg. Si nous ne jouons pas avec les mêmes engagements, nous ne jouons plus avec les mêmes règles. La conséquence, en l’état des annonces, est inévitable  : la production d’acier sera délocalisée entièrement dans les pays émergents .»

L’emploi stabilisé

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Le site de Belval emploie 1 000 salariés, ingénieurs et ouvriers confondus, auxquels il faut ajouter la cinquantaine de personnes employées au centre de recherche.

En tout, au Grand-Duché, ArcelorMittal emploie 4 250 salariés. La société embauche une centaine de personnes par an, ce qui ne compense pas tout à fait les départs. La bonne nouvelle, selon Alex Nick, le dirigeant d’ArcelorMittal Luxembourg, est que « les sureffectifs de la fin des hauts-fourneaux se sont taris. Nous retrouvons une situation de l’emploi normale.»

En clair, les vannes vont se rouvrir progressivement à la jeune génération ouvrière, selon la bonne santé de l’acier, bien entendu.

Images de l’usine de Belval (vidéo Aude Forestier) :