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Yan Pei-Ming, portraitiste du monde


La Chine de Mao l’a rejeté. Exilé en France, on l’a dit nul. Mais Yan Pei-Ming a persévéré. Aujourd’hui, avec ses portraits du monde et de ses puissants, de Macron à Trump, il figure parmi les grands peintres contemporains.

New York, Paris (au Louvre notamment), Hong Kong, puis en 2025 au musée d’Art contemporain de San Diego, aux États-Unis… À 63 ans, Yan Pei-Ming est convoité par les musées de la planète et les grands de ce monde : Emmanuel Macron a passé toute une soirée avec lui, en 2019. Le fils d’ouvriers sans le sou a réalisé le rêve qu’il caressait, devenir artiste, en faisant la plonge au Dragon Céleste, un restaurant chinois de Dijon, où il a travaillé dès son arrivée en France, à 19 ans. «Les Chinois sont fainéants, mais ils travaillent beaucoup», explique dans un rire ce blagueur convivial. «Parce qu’ils sont bien forcés», ajoute-t-il.

«Ming», comme tout le monde l’appelle, sait ce qu’il dit. Il est né le 1er décembre 1960 à Shanghai, quand les gratte-ciel n’avaient pas encore poussé. Sa famille s’entasse «à six dans 18 mètres carrés». Le père fait les nuits dans un abattoir et la mère est couturière. «Il n’y avait aucun artiste dans la famille.» Mais, l’école finie, Ming suit les démonstrations de peinture au centre culturel de la ville et rejoint le lycée d’arts de Shanghai. La Révolution culturelle le cantonne cependant à la propagande. Aux affiches d’ouvriers et de paysans, marteau et faucille levés, il préfère celles des cinémas derrière son lycée, où des peintres dessinaient du rêve en grand format. «J’allais les voir dans leur atelier.» Il postule pour l’École des arts appliqués de Shanghai, mais il est rejeté pour cause de bégaiement, pourtant léger.

Macron m’a dit : « Tu m’as fait le portrait assez dur ». Pas dur, plutôt sévère, je lui ai répondu

«Qu’à cela ne tienne» sera alors la devise de Ming. Son oncle, installé à Paris, connaît des restaurateurs à Dijon qui cherchent une aide. À 19 ans, Ming se retrouve plongeur, de quoi financer ses études, l’école des Beaux-Arts locale l’ayant, elle, accepté. Il en sort diplômé en 1986. «Il faisait de la peinture expressive, pas trop dans le paysage à l’époque», se souvient Franck Gautherot, codirecteur du Consortium, centre d’art contemporain basé à Dijon. «T’es nul», lui avait même lancé Xavier Douroux, cofondateur de l’établissement. «Je n’étais pas très à la mode», reconnaît Ming. «Mais je m’en foutais.»

Opiniâtre, il se met aux portraits, en commençant par celui de Mao. «C’était une propagande à l’envers», explique-t-il. «Personne ne connaissait Yan Pei-Ming. Tout le monde connaissait Mao. Je l’ai utilisé à mon service.» Progressivement, Ming devient le maître du portrait grand format. Le bégaiement l’a poussé à parler avec le pinceau plus qu’avec la bouche et, quand il a voulu crier, il a augmenté la taille de ses toiles. «C’est une manière d’exister. Lui qui ne connaissait pas un mot de français et est bègue», résume Frédérique Goerig-Hergott, directrice des musées de Dijon et ancienne responsable du musée Unterlinden à Colmar (Haut-Rhin), qui a monté la plus grande exposition sur Ming.

«Le grand format, c’est pour que le spectateur entre dans la peinture», résume l’artiste. Sur ses toiles, Bruce Lee ou le pape Jean-Paul II côtoient Vladimir Poutine et Emmanuel Macron… «Le président m’a dit : « Tu m’as fait le portrait assez dur ». Pas dur, plutôt sévère, je lui ai répondu», s’amuse Ming.

Peintre de l’Histoire, Ming retrace également les événements de notre époque : le covid, le 11-Septembre ou le tueur en série Émile Louis. «Je puise mon inspiration dans le quotidien des faits divers», admet Ming, qui commence toutes ses journées en consultant les chaînes d’info ou les journaux. Mais son œuvre va plus loin, traitant en particulier de la mort : la Joconde dépeinte lors de ses «funérailles» ou ses portraits de cadavres à Shanghai en 2005, qui avaient failli être interdits par les autorités. Pas de quoi lui donner envie de retourner vivre en Chine. «Non, non. Jamais. Je suis si bien ici.»